36. Cher journal... (réécriture)

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J'ai donné le premier concert de ma tournée internationale

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J'ai donné le premier concert de ma tournée internationale.

Je me rappelle l'heure qu'il était quand c'est devenu sérieux. Il était 19 heures 55, heure américaine. À l'extérieur, le soleil était déjà couché. À l'intérieur de la salle, en coulisses, les cris de mes fans me parvenaient, atténués par les cloisons. Ils augmentaient ma tension déjà bien concrète. Chaque fois qu'elles hurlaient mon nom, j'avais le cœur qui manquait de se décrocher. Je crois qu'il n'y a pas de son plus terrifiant et plus beau. Cet amour fanatique que je reçois, avec une satisfaction teintée de honte, me comble de joie et m'angoisse. Pour moi, cet amour des fans est un amour collectif, il ne s'individualise pas. Quand une fan me fait une déclaration, à la volée, lors d'une séance de dédicaces, ou quand une autre brandit une pancarte à mon arrivée à l'aéroport, ou quand une autre frôle ma main au premier rang d'un concert, c'est toujours la même femme, toujours.

Il est impossible d'ignorer la puissance d'un tel amour. Mes fans ont le don de me faire sourire, de me faire rougir. Parfois, elles ont le don de me m'effrayer, avec leur amour dément et riche, démultiplié par le nombre. Elles sont une foule et non un être, une chimère à mille têtes et aux hurlements fantastiques. Terrifiant, mais tous les jours je me sens plus fort grâce à cet amour, comblé de le recevoir. Toujours étonné également, jamais certain d'en être digne. Je redoute de les décevoir, de les perdre un jour. Je les aime.

Ce soir, j'ai entendu ces vibrations qui se faisaient impatientes. J'avais peur d'être lamentable, de m'embrouiller dans les paroles ou de perdre ma voix. Autour de moi, le fourmillement des ouvrières des coulisses était exacerbé. Il y en avait toujours une pour réajuster ma veste ou laquer mes cheveux. Nous aurions pu rester là une demi-heure encore, elles auraient toujours à faire pour m'embellir. J'étais bien trop anxieux pour leur accorder mon attention. Les yeux fermés, j'inspirais profondément par le nez, lorsque le metteur en scène est venu me murmurer à l'oreille :

— On commence dans trois minutes !

J'ai bu une gorgée d'eau, j'ai réajusté ma veste et vérifié la bonne tenue de mes oreillettes. Me concentrer sur des détails et des micro-tâches n'a pas empêché le trac. Une vilaine gastroentérite me menaçait. Plutôt que de tenter de la combattre, j'ai laissé la pression monter, s'accumuler sans tenter de la contenir, au contraire. Quand elle serait à son maximum, au moment de monter sur scène, là, j'allais la laisser exploser, sous la forme d'une énergie incontrôlable. Le Minsuk doux, timide et muet n'existerait plus. J'allais faire du bruit, j'allais tout détruire sur mon passage, j'allais être plein d'audace, j'allais être terrible !

Mes fans, celles qui habitent New York et ses environs, elles n'étaient qu'à quelques mètres de distance, qu'à quelques secondes de moi, de l'ouverture du show, de notre première rencontre. Aux étapes d'une vie, il n'a rien de plus décisif que les rencontres. J'en ai vu d'autres, des foules de fans, j'en verrai à l'avenir ; je veux me souvenir de chacune d'entre elles.

Je suis monté sur scène, camouflé par l'obscurité et la fumée artificielle rampante. J'ai posé un genou sur les planches. La fumée m'a avalé tout entier. J'ai baissé la tête et fermé les yeux, alors que le rideau tombait, à l'instant où les premières notes de Fusille-moi alertèrent chaque tympan de cette immense foule. J'entendis le corps à la voix multiple et puissante hurler à pleine puissance, l'hystérie du premier instant, du premier regard que la foule posait sur ma silhouette, dans son cadre de lumière et de feu.

L'instant T, je me suis relevé pour prononcer les premières paroles, sortir de la fumée comme un tigre en embuscade. J'ai ouvert les yeux, les projecteurs m'ont empêché de discerner convenablement cette foule compacte. Je n'ai perçu qu'un seul corps, sombre, informe et auréolé de lumière.

Le concert s'est déroulé tel un moment sacré. Le show a été une conversation très intense. J'ai ouvert le dialogue avec une bonne instru, la réponse a été une avalanche d'amour et je les ai entendus faire l'écho de mes mots. Des centaines de fans étaient devenues les cellules d'un même être, dévoué à moi et à ma musique. Cet ensemble unique a produit une vague d'amour chaude, bruyante, sincère et extraordinaire, cet amour si puissant, qui rend fier et arrogant. Il me déstabilise, il me rend accro.

J'ai enchainé les danses, presque sans interruption, qui ont embrasé mes muscles et fait suer ma peau. À la fin de la danse de Redemption, (qui est la chorégraphie la plus physiques que je n'ai jamais faite) le feu était aussi puissant à l'intérieur qu'à l'extérieur. J'ai réclamé de l'eau que j'ai bue goulument pour éteindre l'incendie. La foule criait son amour pour moi, sa passion physique, érotique. Une envie déraisonnable, impudique. J'avais déjà fait tomber ma veste, j'ai pris la décision d'ôter également mon t-shirt trempé. La réaction des E.T. m'a excité, je l'avoue. Sur cette scène, j'étais devenu quelqu'un d'autre. Je n'étais plus timide, je n'étais plus faible. J'étais la force incarnée, un sex-symbol. Cette émotion a accentué la sensation de feu qui me consumait. L'air sur ma peau ne suffisait plus à me refroidir, tandis que des centaines d'yeux me nourrissaient de flammes. J'avais encore trop chaud. J'ai repris une bouteille et je l'ai vidé sur mon corps. Cette fois, mes fans se sont étranglées à force de vouloir hurler trop fort. J'ai pris tout cet amour pour moi, une décharge intense d'amour.

Au moment de quitter la scène du Radio City Music Hall, j'ai reçu sur les planches trois présents, trois Bulbizarres, trois petits Root. J'ai ramassé l'une de ces petites bestioles, tombée devant un projecteur. J'ai embrassé son front, j'ai serré sa forme charnue contre mon cœur.

C'est étrange quand on y pense, je suis passé du feu érotique à la tendresse d'un enfant pour son jouet. Les fans ont crié, avec la même hystérie que tout à l'heure.

J'ai tourné sa tête de grenouille vers le public, j'ai voulu qu'il puisse voir, à son tour, l'océan de mes fans.

J'étais sur un petit nuage, j'étais aux States, je venais d'achever un concert génial, j'avais l'impression d'être un enfant qui réalisait ses rêves avec son doudou contre son cœur. J'en avais mal aux zygomatiques à force de sourire.

Revenu en coulisses, face à mes équipes, j'ai pris ma voix la plus grave et en mimant l'ouverture et la fermeture de la bouche du Bulbizarre, j'ai fait parler la peluche comme si j'avais été un ventriloque :

All my dreams come true.

Et j'ai éclaté de rire, si sincèrement que j'ai dû cacher mes gencives.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant