— Quoi ? insisté-je.
— 2014, vous êtes sûre ? Pas 2012 ?
— Je suis sûre de ce que m'a dit Hansang.
— Et lui, il est sûr de ce qu'il a vu ? Ça ne peut pas être 2012 ?
— Pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé le 19 octobre 2012 ?
— Notre grand-père est mort.
Je reste silencieuse. J'ai presque envie de murmurer une excuse. Minsuk était déjà Idol à l'époque et je l'admirais déjà. Je me souviens de l'annonce de ce décès et des hommages nombreux qui lui ont été rendu par la suite. Un mini-album avait été dédié à son grand-père. Moi-même j'avais écrit un message de condoléance.
Je n'avais pas fait le rapprochement. Qui sait ? Peut-être que Hansang s'est trompé, peut-être que Minsuk s'est fait marquer dans le but de se souvenir de son grand-père. Un hommage.
— Il était important pour lui, n'est-ce pas ?
— Très. Nous l'admirions beaucoup. Pas seulement parce qu'il était notre grand-père et qu'il nous avait élevé. Nous l'admirions parce qu'il était admirable.
— Vous pourriez m'en dire plus... on ne sait jamais. Si Minsuk s'est fait mettre la date de la mort de votre grand-père sur le poignet, s'est peut-être en référence avec son héritage. C'est peut-être pour ne pas oublier ce que cet homme lui a appris.
— Possible.
Il hausse les épaules, lui aussi.
— Ça ne nous guidera pas vers son journal.
— Peut-être que si ! Pourquoi était-il admirable ? Quel était son métier ?
— Juge. Il était juge. Vous voulez vraiment que je vous dise pourquoi mon grand-père était un héros ?
— S'il vous plais.
Il a l'air dubitatif, mais je vois bien que c'est une façade, il a envie de parler de son grand-père. Quand on admire quelqu'un, on a envie d'en parler à tout le monde.
— Quand nous étions enfants, Minsuk et moi, nous vivions chez nos grands-parents. Après le décès de notre père, ma mère devait tout le temps travailler et n'avait pas le temps de s'occuper de nous. Nous étions très jeunes. Ils nous ont gardé, chez eux, à la campagne, jusqu'à ce qu'on soit assez grand pour aller au collège. Mamie s'occupait de tout à la maison, car notre grand-père était handicapé. Il ne pouvait même plus écrire, seulement taper à la machine. Il ne pouvait pas faire la cuisine. Parfois, il avait des difficultés pour tourner une poignée de porte. C'était à cause de ses doigts. Ils étaient tellement tordus qu'il ne pouvait faire aucun geste précis avec les mains. Nous avions même un peu peur, nous, enfants, quand nous observions de près les mains de Papi. Les index avaient l'air d'avoir été montés à l'envers. Ils pliaient dans le mauvais sens, vers l'extérieur.
Malgré moi, une grimace vient déformer mes traits. Je me ressaisi bien vite, afin de ne pas vexer mon interlocuteur. Mais lorsque j'imagine des doigts tordus, aux angles anormaux, des douleurs fantômes courent dans mes propres extrémités.
— Nous, nous étions jeunes, poursuit Minhok, nous avions un peu peur. Mais, surtout, nous étions curieux. Quand nous posions une question à ce propos, Mamie nous réprimandait et nous faisait taire. Puis, Papi ajoutait qu'il nous en parlerait un jour, quand nous aurions l'âge, et c'est ce qu'il a fait.
Je bois une gorgée de Coca chaud en observant Minhok dans les yeux. J'ai l'impression d'être assise en tailleur autour d'un feu de bois, qu'il n'est pas journaliste, mais conteur. Une impression renforcée par le barbecue au centre de la table, aux braises rouges. Il raconte cette histoire comme un professionnel, en laissant monter le suspense. Et ça marche. Je veux savoir la suite.
VOUS LISEZ
Pour Minsuk
Mystery / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...