En traversant l'agence pour rejoindre les salles de cours, je remarque tout de suite un changement d'ambiance. Je ne sais pas si c'est mon imagination ou la réalité, mais j'ai la sensation que les lieux sont vidés, et que les rares personnes que je croise me suivent des yeux et chuchotent sur mon passage.
Prise d'un sentiment irrationnel d'insécurité, je presse le pas. Plus vite j'aurai rejoint Rémi, plus vite je pourrai retourner aux dortoirs, faire ma valise et me casser d'ici.
Pour atteindre l'amphithéâtre, je longe la salle de danse. Je ralentis instinctivement, espionnant du coin de l'œil ce qui se trouve à l'intérieur. Je reconnais le chanteur Tah et son boysband, en présence de plusieurs adultes et d'Ajeong. La jolie brune les accompagne au piano.
Progressivement, tous les regards convergent dans ma direction, d'abord un ou deux, qui se figent, comme s'ils avaient vu un fantôme ; puis les autres, alertés par le changement d'attitude des premiers. Cette fois, je ne peux pas mettre cela sur le compte de mon imagination ; il y a vraiment quelque chose qui cloche.
La musique s'arrête alors que je croise le regard d'Ajeong, devenue immobile. Quelquefois, les expressions des visages vous font comprendre tout de suite que rien ne sera plus jamais comme avant. Je voulais juste passer devant cette salle et poursuivre mon chemin jusqu'à l'amphithéâtre, mais la façon dont Ajeong me dévisage est si incompréhensible que je stoppe net. La jeune femme quitte précipitamment le siège derrière le clavier du piano et se dirige vers moi.
J'hésite un instant à la fuir, mais n'est-il pas déjà trop tard ?
— Suivez-moi ! dit-elle en parvenant dans le couloir.
Elle m'attrape le bras et m'entraine plus loin, à l'écart de la salle de danse et des regards consternés.
« Qu'est-ce qu'elle fait là ? » interroge l'un d'entre eux au moment où nous nous éloignons.
Je laisse l'enseignante me jeter derrière la première porte venue et je me retrouve face à face avec des balais, des seaux et des produits d'entretien. L'odeur me saisit à la gorge et je pince aussitôt mes narines. Mes yeux se ferment, pur réflexe défensif.
Ce n'est même pas une odeur de soude. Ce n'est même pas une odeur de soude.
Ajeong referme la porte, ce qui nous plonge dans l'obscurité. J'entends sa respiration forte tandis qu'elle tâtonne entre les étagères, à la recherche de l'interrupteur. Quand la lumière reparait, je n'ai pas encore osé reprendre ma respiration. J'observe craintivement les bidons qui nous entourent, comme s'ils pouvaient s'ouvrir seuls et nous projeter dessus leur contenu corrosif.
Les yeux ronds d'Ajeong me contemplent toujours avec la même sidération. Je ne comprends pas ce qui se passe. Je voudrais sortir de ce local qui me met si mal à l'aise, mais les bras de la jeune femme me saisissent et elle chuchote :
— Tout le monde pense que vous vous êtes échappée ! Qu'est-ce que vous faites ici, Gardin ?
Ma main plaquée sur mon nez m'empêche de parler. Il faut pourtant que je réagisse. Je me force à inspirer. Ça sent un peu, mais je vais pouvoir faire avec. Je halète quelques secondes pendant que mon enseignante attend impatiemment.
— Mademoiselle Gardin ?
— Excusez-moi, articulé-je, reprenant un peu de contenance. M'échapper ! Moi ? Pourquoi ?
— Vous ne pouvez pas rester ici.
— Mais je dois... je dois voir Rémi.
— Rémi, répète-t-elle estomaquée. Vous n'êtes vraiment au courant de rien ! Rémi n'est pas ici.
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Pour Minsuk
Misterio / SuspensoQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...