Je suis obligé d'écrire sous mes couvertures, en utilisant la lumière de mon téléphone portable pour m'éclairer.
Cet après-midi, j'avais quartier libre, alors dans les rues de Los Angeles, quelques membres de l'équipe et moi-même, nous avons fait les magasins. Je n'ai pas acheté grand-chose, car les boutiques du centre de Los Angeles proposent des vêtements de luxe à des prix inaccessibles. Moi, j'attends encore le bilan comptable avant le début du mois de juillet et le salaire qui va avec. L'échéance approche et je recevrai, enfin, les bénéfices de Crazy Love. Je suis impatient d'envoyer une enveloppe à ma mère et de poursuivre cette tournée avec suffisamment d'argent pour m'acheter tout ce que je désire.
Tout au long de notre virée, une caméra ne nous a pas lâchés. Elle capte tous les instants de nos découvertes outre Pacifiques. Il m'a été dit que le reportage se nommera : « Minsuk first international tour – background ». Quand une caméra tourne, je ne peux jamais être totalement moi-même, parce que j'essaie de donner une bonne image. On ne le répète pas assez, mais c'est fatigant de faire sans cesse bonne figure.
Nous sommes rentrés tôt à l'hôtel. J'ai eu envie de m'isoler, de retrouver mon amie solitude, bien à l'abri entre les murs de ma chambre individuelle. J'ai donc prématurément salué mes équipes au prétexte d'aller me coucher tôt. Ce qui n'était pas un véritable mensonge, je suis réellement claqué. Une fois dans ma chambre, j'ai déposé mes quelques paquets de souvenirs dans l'alcôve de l'entrée. J'ai quitté mes chaussures pour enfiler à la place les chaussons fournis par l'hôtel. C'est là que je l'ai vue. J'ai plissé un peu les yeux pour vérifier que ce n'était pas une invention de mon esprit. Elle était bien là, en effet, fixée au mur du fond, à côté de la fenêtre et à hauteur d'homme : une caméra.
Je me suis avancé lentement, en fixant l'objet. Ma tête est apparue sur le petit écran qui me faisait le retour. Elle était donc déjà allumée. Tout d'abord, j'ai eu une pensée pour mon moment de solitude, dont cette caméra venait de sonner le glas. Ensuite, j'ai songé au fait qu'on aurait peut-être dû me prévenir. J'avais honte de ce que je portais : une tenue négligée, des lunettes de vue à larges montures (qui me faisaient un visage de taupe intellectuelle), un bob, vissé sur ma tête, (qui me donnait plutôt l'air d'un quelconque touriste).
Et puis, je me suis repris. Ce n'était pas la façon dont j'étais habillé le problème. Le problème, c'était que je bâillais. Le problème, c'était que je n'avais pas envie, pas ce soir, pas alors que j'étais sur mon temps libre. Pas aussi tard... Pas envie, parce que je n'avais pas envie.
J'ai pris mes distances avec l'intruse. J'ai étudié le cadre. Le truc pointe directement sur mon lit. Est-ce qu'ils ont le droit de faire ça ? J'ai constaté que l'angle de vue était assez large, mais lorsque je faisais un pas sur ma gauche, sur l'écran, je disparaissais presque totalement. Je venais de trouver un angle mort. Si je rasais le mur, on ne me voyait plus. J'ai déterminé les limites de ce petit espace qui échappait à la vue de la caméra. Si je me déplaçais un peu trop en avant, je réapparaissais à l'écran, un peu trop en arrière, de même. L'angle mort, minuscule, ne devait pas mesurer plus d'un mètre carré de côté, mais j'ai dû faire avec.
J'ai concédé un salut pour mes fans, mais ce serait tout. Je me suis penché, exposant à nouveau mon tronc dans le cadre et j'ai agité la main, tout en marmonnant :
— Je suis Minsuk. Song Minsuk.
Aussitôt, je suis retourné me réfugier hors champ. J'étais en pleine saturation. Je voulais dormir, juste dormir. Mes paupières pesaient lourdement.
J'ai quitté mon angle mort pour passer à la salle de bain. J'ai passé de longues minutes à vérifier chaque recoin de la pièce. Je ne les croyais pas capables d'une telle bassesse, mais je ne voulais prendre aucun risque. Et puis, dans ces conditions, on devient rapidement paranoïaque. J'ai eu l'impression de comprendre ce que ressentent les femmes qui ont peur de prendre les transports en commun en jupe, à cause des caméras espionnes que des connards fixent à l'extrémité de leurs chaussures, tout cela pour filmer des culottes.
Heureusement, je n'ai pas trouvé de caméra dans la salle de bain. Je m'y suis lavé les dents et je suis revenu directement m'enfermer dans mon petit mètre carré de liberté. Là, j'ai ôté mon t-shirt. J'ai traversé le champ de la caméra, à toute vitesse. Rejoindre mon lit, vite. J'ai eu l'impression d'entendre des cris hystériques en provenance de la caméra :
— Le corps de Minsuk ! Il est torse nu ! Le corps de Minsuk !
Mais ce n'était que mon imagination.
Je me suis terré sous ma grosse couette, comme un enfant mécontent. J'ai éteint la lumière en tendant un bras hors de mon refuge. Dans le noir, j'ai attrapé mon journal intime et j'ai écrit ces faits. Je ne sais pas encore comment la prod' va sanctionner mon comportement asocial. Je n'ai même pas dit bonne nuit.
Qu'ils essaient de me critiquer, tiens ! Je sens la colère s'instiller sous ma peau, une colère vicieuse car contenue. L'évènement s'ajoute à la pile des affronts infimes de mon quotidien. De quel droit pose-t-on une caméra face à mon lit sans me prévenir ? On s'est sans doute imaginé que la surprise me transporterait de joie !
J'ai bien essayé de me calmer, de me dire que ce n'était rien, que ce n'était qu'une caméra. Une de plus, une de moins ! Essayer de me convaincre que c'était moi qui en faisais trop, que j'avais été ridicule, à l'instant, tapi dans mon angle mort, comme un animal effrayé.
Pourtant, je ne suis pas parvenu à éteindre cette colère. Je rumine. Je ne relativise pas. Je ne pardonne pas.
Si on m'en avait parlé avant, j'aurais sûrement accepté, une fois de plus. Tout ça, c'est pour faire plaisir aux fans. C'est pour les E.T.. J'aurais fait le sacrifice d'une soirée supplémentaire. J'aurais dit oui, comme d'habitude. Je n'aurais peut-être même pas vu le problème. Seulement voilà ! On ne m'a pas demandé.
Je ne suis pas allé jeter la caméra par la fenêtre de ce trente-cinquième étage. Je n'ai même pas vidé mon sac devant l'écran. Je sais que, demain, je n'oserai rien dire à la prod', que je vais ruminer l'évènement, mais le garder pour moi. C'est ainsi, je ne sais pas me plaindre. Je vais donc me taire, comme je sais si bien le faire.
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Pour Minsuk
Mystère / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...