Quand j'étais adolescent, je me suis rendu à un casting accompagné par mon ami Killin, il m'a montré une agence discrète, au coin d'une ruelle. C'était un bâtiment à l'apparence parfaitement banale, qui ne jurait pas dans le décor. Il y avait une enseigne, cloutée au mur de béton : « société de déménagement ».
— Tu sais, m'a-t-il dit. Ici, ce n'est pas une vraie société de déménagement. C'est une société qui vient en aide aux Johatsus (note de bas de page).
— Les Johatsus qui viennent du Japon !?
— Non, les Johatsus d'ici, les Johatsus coréens...
J'ai été surpris d'apprendre qu'il y avait des Johatsus coréens. Maintenant que j'y repense, ça ne m'étonne pas vraiment. C'est toujours plus facile de constater les problèmes chez les voisins.
Les Hikikomoris (note de bas de page) par exemple. Le mot est japonais, nous ne prenons même pas la peine de le traduire avec un mot coréen. Comme si le phénomène était exclusivement japonais. Alors que j'ai lu qu'il y avait 300 000 jeunes enfermés dans leur chambre en Corée du sud, des Hikikomoris bien de chez nous. J'ignore combien il y a de Johatsus en Corée du Sud, mais je pense que beaucoup d'entre nous ont effectivement dû y penser ; il n'y a qu'à voir le nombre de Coréens qui se suicide. L'évaporation ne serait-elle pas une alternative séduisante à celle du suicide ? Un suicide social, moins définitif ?
Quoi qu'il en soit, à l'époque, quand Killin m'a parlé de cette entreprise d'aide aux Johatsus, j'ai été surpris.
— Comment ça, les aider ? ai-je demandé à Killin. Comment est-ce qu'on peut aider un homme à disparaitre ?
Il avait haussé les épaules.
— Je ne sais pas trop... Je suppose qu'ils peuvent proposer des papiers d'identité, des passeports, si on a de l'argent. Pour ceux qui n'ont pas les moyens, ils doivent proposer des adresses pour se loger ou travailler. Mais je suppose, c'est tout.
Depuis ce jour-là, j'ai toujours gardé un souvenir vivace de cette « entreprise de déménagement ». J'y repensais souvent, avec un pressentiment inexplicable, comme si ce lieu me touchait personnellement. Je comprends enfin pourquoi. C'est comme si j'avais eu l'intuition que je pouvais devenir un jour l'un d'entre eux : un évaporé.
Dans quelques jours, je commettrai à mon tour un suicide social, plus élaboré que la moyenne, car je devrai faire en sorte que les personnes qui me connaissent me croient mort. Ce qui n'est pas rien quand plusieurs millions de personnes vous connaissent !
J'y ai donc longuement réfléchi et voilà ce que je compte faire. Je prévois de fausser compagnie à mon manager peu de temps après le petit déjeuner. En effet, c'est toujours à cette heure-là qu'il a besoin de se rendre aux commodités. C'est là que j'agirai. À l'aide de la table de salon, du canapé et d'un balai, je bloquerai la porte des toilettes. Auparavant, j'aurais laissé sur mon lit deux lettres de suicides écrites de ma main : une pour mes fans, une autre que j'adresserai à Minhok. Ensuite, je n'aurai plus qu'à sortir rapidement des bureaux de la Pak.
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Pour Minsuk
Misterio / SuspensoQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...