60. Cher journal... (réécriture)

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Il est onze heures du soir, je suis dans ma chambre depuis une demi-heure

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Il est onze heures du soir, je suis dans ma chambre depuis une demi-heure. Entre la salle de concerts et les locaux de la Pak, nous n'avons pas trainé en route. Durant tout le trajet, nous n'avons pas ouvert la bouche, ni Gong ni moi. Il n'a pas essayé de m'adresser des paroles réconfortantes aussi vaines que détestables. Il a raison, je ne l'aurais pas écouté. Dans ce genre de situation, il vaut mieux se taire. Moi aussi, je préfère ne rien dire lorsqu'on ne m'écoute pas.

À peine arrivé, je suis allé m'enfermer dans ma chambre. Là aussi, Gong m'a laissé faire. Il sait que j'ai besoin de me retrouver seul. Il sait que je suis quelqu'un de fier, quelqu'un qui n'aime pas craquer en public. J'ai tenu bon tout l'après-midi, pendant les répétitions et surtout sur scène, je n'ai rien montré du tout. En coulisses et sur le trajet du retour, j'ai contenu mes larmes. Ce n'est qu'une fois que j'ai eu fermé la porte de ma chambre que j'ai pu pleurer un bon coup.

Une fois que ça a été fait, j'ai sorti mon journal intime et mon stylo pour coucher la vérité sur papier. C'est rare, mais ce soir je n'ai pas envie d'écrire ce qu'il s'est passé, je préférerais oublier. Pourtant, je dois le faire. Je crois aux pouvoirs thérapeutiques de l'écriture. Si je parviens à exprimer ce que j'ai traversé aujourd'hui, je pourrai me relever plus vite, malgré la honte, malgré la haine qui me prend la gorge en ce moment.

Gong a voulu me prévenir, avant que je ne rejoigne Seungwon et Yaksu pour les répétitions.

— Des E.T. ont demandé le remboursement pour l'évènement d'aujourd'hui. Il y aura moins de monde que prévu pour te soutenir. Je suis aussi inquiet à propos des antis et des autres fans, ceux de Seungwon et Yaksu. Il est possible que le public soit difficile ce soir. Tu t'en rends compte j'espère ?

— Oui, je suppose que oui.

J'ai sous-estimé ses avertissements.

Pour l'émission, j'avais dû apprendre les paroles d'un titre de I.U.. Cela se faisait de temps à autre de demander à des hommes de reprendre des chansons écrites pour des femmes. Le résultat devait être comique, mais rester professionnel. Un chorégraphe nous a concocté un enchainement spécial pour l'occasion, à base de poses féminines et de déhanchés.

Yaksu et Seungwan, qui se sont travestis musicalement avec moi cet après-midi, sont de parfaits inconnus à mes yeux et réciproquement. Ils m'ont serré la main lorsque je suis arrivé. Seungwan, le plus âgé, a eu l'air de me prendre en pitié. Qu'il aille se faire foutre ! Mais ce n'était pas le pire. Le plus jeune m'a accueilli par ces mots :

— Alors ? Ça fait quoi de donner son dernier concert ? Vous avez un projet de reconversion ?

Il s'est amusé de mon malheur, tel un charognard pressé de dévorer les miettes que j'allais laisser derrière moi. Qu'il cause, ce petit con ! Je ne suis pas encore mort.

Lorsque nous sommes montés sur scène, il y a eu des applaudissements et des acclamations. Ainsi ai-je cru un instant que tout irait bien, que l'affaire médiatique n'empêcherait pas le public de profiter du spectacle et que le message d'excuse avait fonctionné.

J'ai dansé en background pendant que Seungwan chantait son couplet, la salle avait pris la coloration fuchsia des lightsticks  (note de bas de page)qui lui était associé. Une marée humaine de rose, un pinkocean. Les chants des fans couvraient littéralement les bruits des haut-parleurs, je n'entendais que la voix de la chimère, la communion de la salle avec Seungwan, les bras se sont tendus vers lui. C'était magnifique. Ça vous donnait des frissons.

Puis, ça a été le tour de Yaksu. Heureusement, ses qualités de danseurs et de chanteurs surpassaient ses qualités humaines. Son interprétation était à mourir de rire tant il était capable de se glisser dans la peau d'une femme chaude comme la braise. Le pinkocean devint soudain blanc, comme des constellations se mettant à danser. Les voix riaient et chantaient, je sentais mon cœur battre à tout casser dans ma poitrine. Ce public, je ne l'avais plus vu depuis un moment. J'étais parti à l'étranger, laissant mes fans coréens au pays. Mon peuple.

Mon tour approchait. J'ai fait quelques pas en avant afin de prendre ma place au premier plan.

À la première de mes strophes, la salle s'est éteinte.

La foule, qui brillait d'étoiles blanches quelques secondes auparavant, est devenue obscure. Les lightsticks en berne, presque tous. Je me suis retrouvé face à un écran noir.

Noir, et silencieux comme la mort. Plus aucun applaudissement, plus aucun chant. J'avais l'impression de me produire dans une salle vide.

J'ai poursuivi ma danse, en reproduisant les automatismes de la chorégraphies, enregistrés dans mes muscles. Mes lèvres ont continué à mimer les paroles de I.U.. Jamais le playback ne m'aura été aussi utile, car je ne sais pas si j'aurais été capable de chanter à ce moment-là.

Je n'avais jamais vu des fans se taire, je n'avais jamais contemplé un blackocean. Il porte bien son nom. Je me suis senti perdu en pleine mer, dans une nuit sans étoiles. Je n'avais nulle part où poser les yeux, l'obscurité, dans toutes les directions. La vague chaude, soudain refroidie. J'avais perdu leur amour. J'ai contemplé un océan d'indifférence et de mépris.

Après ce qui m'a semblé être une éternité, je me suis éclipsé pour céder la place à un partenaire. Seungwon est revenu au premier plan. Il lui a suffi d'apparaitre, là où je me tenais trois secondes plus tôt, pour que la foule se rallume et que les acclamations reprennent.

L'humiliation poussée à son plus grand art, par le contraste entre l'avant et l'après. On me donnait à voir et à entendre ce que j'avais manqué. Les spectateurs me faisaient bien comprendre que la lumière existait encore, mais qu'elle n'était plus sur moi désormais.

Mon deuxième couplet a été aussi cruel et lugubre que le précédent. Je suis tout de même allé au bout. J'ai seulement un peu écourté les salutations. Quittant la scène après une unique révérence, raide et pressée, alors que mes partenaires restaient profiter des hourras de la salle.

Gong s'est précipité vers moi, se confondant en paroles rassurantes : « mauvaise période », « temporaire », « courage ». Je ne l'écoutais plus. Je ne voulais pas parler avec mon manager, je ne voulais parler à personne, absolument à personne.

J'avais envie de pleurer, mais je me le suis interdit. Trop de mauvaises âmes nous entouraient. Des charognards, toujours. Je ne pouvais pas leur faire ce plaisir.

Voilà, c'est écrit. Je ne me sens pas vraiment mieux.

~

Mon téléphone a vibré pendant que j'écrivais. J'ai laissé sonner. C'était Minhok. J'ai un peu hésité, au point de tendre la main pour décrocher. Il doit être au courant pour le scandale. Il veut peut-être savoir si je vais bien.

Mais je me suis ravisé. Je n'ai pas décroché. Je savais comment ça allait finir. Je ne parviendrai pas à lui confier la gravité de la situation au téléphone. Je vais lui dire que j'encaisse, que ça va. Et lui, il me parlera de cette fille. Je préfère m'épargner tout ça. Je ne veux parler à personne, absolument à personne.


Lightstick : Bâton de lumière. Dans la K-pop, chaque groupe ou artiste possède un totem qui prend la forme d'un bâton de lumière qui s'éclaire en concert. La couleur dépend de l'artiste.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant