92. La découverte (réécriture)

42 12 13
                                    


Dans l'ascenseur, je fais glisser le badge d'Ajeong dans le mécanisme et approche mon index des boutons. Mon geste reste suspendu, incertain. J'observe tour à tour le numéro « -2 » et le « 2 ».

J'étais venue à la Pak pour parler à Rémi et pour récupérer mes affaires. Si je ne retourne pas à ma cachette pour y reprendre mon classeur gris, je cours le risque que quelqu'un le découvre.

D'une certaine façon, ce ne sera peut-être pas bien grave car je serai sans doute déjà loin. En revanche, ça m'ennuie pour Minhok. Dans mon classeur, j'ai dressé le compte-rendu de mes entretiens avec lui. Je ne voudrais pas qu'il ait des problèmes à cause de ça.

Malgré ces considérations, mon doigt se déplace au-dessus de « -2 ». Je ne peux pas me permettre de trainer plus longtemps dans les parages. Que se passera-t-il si je croise le Sosie et ses hommes ? Je ne suis pas leur voleuse, mais tout m'accuse. Plus je tarde, plus le piège menace de se refermer sur moi. Ce sont des meurtriers. Des meurtriers.

J'appuie sur le bouton « -2 » et l'ascenseur se met en branle, amorce sa chute. Je serre mes mains sur mon ventre, mes entrailles se sont soulevées, comme si je venais de sauter dans le vide.

Un instant, je me retourne et je croise mon propre regard dans le miroir qui se trouve au fond de l'ascenseur. Je n'ai pas répondu à Ajeong tout à l'heure, lorsqu'elle a affirmé que je devais savoir ce qui avait été volé. Est-ce que je le sais ? Est-ce que c'est vraiment ce que je pense ? Moi, je n'ai rien volé à la Pak, mais c'est peut-être à cause de moi que le vol a eu lieu.

Il est possible qu'on ait volé pour moi.

Ce n'est pas sûr. Je n'étais pas là, pourtant, quand je repense aux dernières paroles de Rémi, à la suspicion d'Ajeong et aux grands moyens déployés par la Pak pour récupérer ce qui leur appartient, je crois qu'il s'agit bien de ça. Une preuve, la preuve. Ce que Minhok et moi recherchions depuis le début, si près, peut-être à portée de main.

Et si Rémi avait réussi à l'avoir...

J'ai déjà consulté mon téléphone, je n'ai reçu aucun message de sa part. S'il l'avait trouvé, il m'aurait prévenu, non ?

Sauf s'il n'a pas eu le temps.

Je ferme les yeux et je réfléchis. Dans les films de braquage, lorsque les voleurs ont le butin en leur possession, mais que les policiers les rattrapent... Ils ne conservent pas leurs richesses avec eux, soit ils le transmettent à des complices, soit ils le cachent à proximité.

Tout ce que j'ai fait jusqu'à présent... tous les risques que j'ai pris ou que j'ai fait prendre à d'autres, tout cela n'aura servi à rien si je renonce maintenant.

Soudain, je change d'avis : je renvoie l'ascenseur dans l'autre sens, je remonte, je vais au deuxième étage. J'ai le cœur qui bat à tout rompre dans ma poitrine. Mais si je ne vérifie pas mon intuition maintenant, je le regretterai toute ma vie.

Je commence par aller fouiller mon casier. À cette heure, les vestiaires des filles sont déserts. Je remarque tout de suite qu'il semble avoir été visité, plus rien n'est à sa place là-dedans. Les livres ont été ouverts, reposer les uns sur les autres, dans un ordre altéré. Je soulève mes affaires, tâtonne sous ce bazar et, finalement, je referme le casier bruyamment. Il ne contient rien d'intéressant.

Je presse le pas. Le soleil éclatant de cette journée illumine la grande pièce à vivre dans laquelle je pénètre, et mes yeux s'écarquillent lorsque je découvre nos dortoirs ; tout semble avoir été retourné. Des meubles entiers ont été déplacés, les livres dispersés, les vêtements répandus, on dirait que des singes sont entrés ici, et ont joué avec nos affaires avant de les abandonner à même le sol.

Je traverse rapidement notre grand salon pour rejoindre mon dortoir. Il est dans un triste état, pire encore que le salon : les futons et les oreillers ont été éventrés, les valises défoncées, tous les tiroirs ont été retournés et vidés, des rouges à lèvres et des colliers sont éparpillés dans tous les coins.

J'avance dans ce chaos. Le désordre amplifie le silence et l'immobilité stressante des lieux. Devant moi, je constate avec soulagement que la porte coulissante qui s'ouvre sur le balcon est restée close. Derrière la vitre, les pots de fleurs n'ont pas été déplacés. La Kangpae a fouillé partout, sauf là où il fallait.

Je fais rapidement coulisser la porte et je m'aventure sur le balcon, m'accroupis au pied des pensées. Je retiens ma respiration. Et si la boîte n'y était plus ? Mais mes doigts repèrent la boite de métal toujours suspendue à son support.

J'ouvre le couvercle, et je tombe à genoux en découvrant l'intérieur. Au-dessus de mon classeur gris, il y a une lettre, pliée et glissée dans une enveloppe blanche. Mais surtout, sous cette lettre, il y a un cahier à spirales, format A5, à la couverture jaune.

Je n'ose plus respirer. Suis-je victime d'une hallucination ? Je cligne des yeux plusieurs fois. Je me rends à l'évidence : ce n'est pas un rêve ; il y a bien un journal dans ma cachette secrète.

Mes mains tremblantes saisissent d'abord la lettre. Je lis : « Pour Jeanne » sur l'enveloppe, en français. Même si je ne connais pas l'écriture de Rémi, je devine que ça vient de lui. Malgré l'envie pressante que j'ai d'ouvrir cette enveloppe, je ronge mon frein. Je la lirai plus tard, une fois que je me serai mise à l'abri.

Je retire mon sac à dos, le pose au sol et défais la fermeture éclair. Aussi vite que possible, je mets à l'intérieur mon classeur gris et la lettre de Rémi. Mes mains se referment ensuite sur le cahier jaune.

Est-ce que c'est vraiment lui ?

Cette fois, malgré l'urgence, je l'ouvre. Totalement au hasard, plutôt dans les premières pages. Il faut que je voie ce qu'il y a dans ce cahier.

Du coréen... Tout y est écrit en coréen. C'est une écriture manuscrite, attachée, que je reconnaitrais entre mille. Une écriture sauvage, aussi grossière et volumineuse que la voix de son auteur pouvait être basse et discrète.

C'est bien la sienne. C'est bien l'écriture de Minsuk !

Le cœur cognant à tout rompre dans ma cage thoracique, je lis une phrase au hasard :

« Je pensais faire une vidéo pour présenter mon nouveau logement à mes fans, une petite vidéo informelle, comme on en fait sans arrêt pour conserver le lien avec les fans. En fait d'informelle, cette ... »

Bon sang !

C'est bien ça. Le journal disparu de Minsuk. Enfin retrouvé. Il est devant mes yeux, entre mes mains. Toutes les réponses. Toutes les preuves. Là !

Je fais courir les pages sous mes doigts, les feuilles tournent. Je les laisse s'égrener les unes à la suite des autres, des pages noircies, couvertes d'hangeuls, jusqu'à ce que soudainement, elles redeviennent blanches, vierges. La fin avant la fin, le journal reste inachevé. Toutes ces pages qui n'ont pas été salies, toutes ses pages qu'il n'a pas remplies. Des lignes d'écritures vierges, qui me blessent. Je secoue la tête, reviens un peu en arrière. Je voudrais voir les dernières pages. Quels sont les derniers mots qu'il a écrits ? ... et à quelle date ?

Soudain, un bruit m'oblige à refermer le cahier brusquement, mes mains moites restent posées sur la couverture, tandis que mon esprit est ramené violemment à la réalité.

J'ai entendu la porte s'ouvrir. Quelqu'un vient d'entrer dans les dortoirs.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant