Comme on pouvait s'y attendre, l'intérieur de la tente pue l'humain confiné et crasseux. Un mélange de musc, de sébum et de munster dix ans d'âge. Je m'étonne du bazar qui règne dans si peu d'espace. Dans un coin, un réchaud à gaz, dans un autre, un appareil photo et un gros sac à dos de randonnée. La squatteuse s'agenouille au centre de la tente, sur son sac de couchage et devant un empilement de cageots.
— Fais attention à Jebi, prévient-elle.
— Quoi ?
Une chose se met soudain en mouvement près de moi. Ça rampe à toute vitesse, c'est poilu, c'est sombre. Je lâche un cri de détresse. Qu'est-ce que c'est que ce truc ?
Ça se précipite tout droit sur Cheveux verts et grimpe sur elle. J'identifie une bestiole poilue et longiligne, qui s'installe docilement sur l'épaule de la jeune femme.
— C'est mon furet. Fais gaffe, il mord.
J'ai l'impression que l'animal me surveille. Ses deux petits yeux noirs et sournois me fixent. Il a un petit museau affuté, des moustaches qui frétillent. Je devine des petites griffes au bout de ses pattes, aiguisées, pouvant s'accrocher partout, sur les vêtements, les cheveux. Je déteste ça.
La sasaeng démonte son étagère de fortune, en sort plusieurs carnets usés et débute un tri sélectif. Moi, j'ai du mal à quitter la créature des yeux.
— C'est celui-ci, affirme Cheveux verts en ouvrant l'un des carnets.
J'essaie de m'approcher pour voir ce qu'elle feuillette.
— C'est le carnet que je remplissais avant le suicide Minsuk.
Mes poils se hérissent. Elle emploie le mot « suicide » sans réserve. De toute évidence, cette fille croit à la thèse officielle. Et dire qu'elle prétend le connaitre...
Je mets une main dans la poche de mon jean pour en sortir mon téléphone, avec l'intention de prendre des photos de ce fameux carnet. Le logo en forme de pile sur l'écran de démarrage m'avertit que sa batterie est presque vide. J'espère seulement qu'il va tenir suffisamment longtemps pour que je puisse terminer ces clichés. Ce serait vraiment trop bête.
— Qu'est-ce que tu cherches en fait ? me demande la sasaeng.
— Je suis sûre qu'il s'est passé quelque chose de grave avant la disparition de Minsuk, quelque chose que la Pak essaie de cacher. Une sorte de secret.
Je repense à Minhok, qui disait ne plus avoir d'échange avec son frère depuis plusieurs mois. C'est dans cette période que je dois chercher. Deux mois, trois maximum, avant sa disparition. Mon intuition me dicte une fenêtre encore plus resserrée : un mois.
— Je cherche des trous dans son emploi du temps, poursuis-je, des périodes où il se serait rendu dans des lieux inhabituels, par exemple. Et je voudrais comprendre pourquoi il s'est fait tatouer, alors qu'il n'aimait pas les tatouages. Peut-être même, savoir où il était juste avant, juste avant...
Je ne termine pas ma phrase. Elle m'a compris et tourne frénétiquement les pages de son carnet.
— Le jour même... la veille... et les semaines avant, c'est ça ?
— Oui.
Elle ouvre son carnet sur une double page en particulier et me le tend ensuite.
— Je peux prendre des photographies de tes notes ?
Je lui montre le téléphone que je tiens en main. Elle fait mine d'hésiter, en se grattant encore la tête. À force de s'écorcher le cuir chevelu de cette manière, elle va finir par atteindre le sang.
Elle me donne finalement son accord. Alors, je commence à shooter ces dernières pages.
Celle de gauche est couverte aux trois quarts de gribouillages. Ces pattes de mouche ne sont pas évidentes à déchiffrer. Il y a beaucoup d'abréviations, des mots et des phrases entourés, soulignés, et même de petits dessins. Ça va être compliqué.
Je distingue des heures et des dates. Je lis 27 novembre, mais pas 28. La page de droite est vide, je devine que toutes les suivantes également. Cheveux verts n'a pas retranscrit ce qui s'est passé le jour du suicide.
— Vous l'avez vu ? Je veux dire...
J'avale ma salive.
— Le 28 novembre ? Est-ce que vous étiez sur le pont de Mapo ? Est-ce que vous avez vu...
Elle me fixe. C'est bizarre comme elle me fixe ; c'est intense.
— Non. Je croyais qu'il était à la Pak, dans l'immeuble. Je ne l'ai pas vu sortir ce jour-là.
J'ai envie de pousser un cri de victoire. Cette fille qui le suivait partout, qui aurait dû être en première ligne... Elle ne l'a jamais vu sauter du pont de Mapo ! Évidemment. Évidemment qu'elle ne l'a pas vu sauter. Puisqu'il ne l'a pas fait.
Je tourne quelques pages, surprise par la précision de certaines notes :
— Il s'est fait faire le tatouage le 21 novembre, n'est-ce pas ? demandé-je.
— Ouais.
Je remonte donc au 21. Cheveux verts a noté certains détails : le nom du tatoueur qui s'en est occupé, le temps que ça a mis, la localisation sur le poignet. Elle a fait un petit dessin, peut-être censé représenter le tatouage. Mais étrangement, ce n'est pas une date.
— Au fait, ajouté-je. Est-ce que tu sais ce qu'il y avait sur ce tatouage ?
Recouper les informations, toujours recouper les informations.
— Oui. Je sais. Il y a marqué « Sunhee ».
— Sunhee ?
— Oui... mon prénom.
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Pour Minsuk
Mystery / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...