88. Meurtre ❗ (réécriture)

49 11 20
                                    


— J'ai pu prouver ses allégations, poursuit l'avocat de Minsuk. Il y a bien un dossier à l'hôpital de Changwon, son nom, la date et l'heure y figure.

Fébrilement, je fouille dans la galerie de mon téléphone et ne tarde pas à y retrouver la photo : Minsuk, le 19 octobre. Le gros plan met parfaitement en évidence le pansement de la perfusion, collé sur son poignet droit.

Je tends l'appareil à l'avocat qui se saisit de ma preuve. Il réajuste ses lunettes et plisse les yeux pour mieux scruter mon écran.

— Ce sont des images de ce jour-là ?

— Oui, confirmé-je. Je croyais qu'il portait ce pansement pour cacher un tatouage, mais pas du tout.

Et j'aurais dû le comprendre plus tôt. Dès que j'ai appris pour la date du tatouage, j'aurais pu recouper les informations. Si on en croit les notes de Cheveux Verts, le tatouage datant du 21 novembre, donc le pansement qu'il portait lors du concert ne pouvait pas servir à le cacher. J'aurais pu deviner qu'il s'agissait d'un vrai bandage médical.

— En fait, raisonné-je, Minsuk s'est fait tatouer la date du concert pour qu'on aille regarder les images. Et il n'a pas donné que la date... la localisation du tatouage devait nous inciter à regarder son poignet. Il voulait qu'on devine qu'il avait été perfusé ! Il voulait qu'on sache ce qui s'était passé !

Je finis ma phrase en me tournant vers Minhok, et je m'interromps aussitôt ; le frère de Minsuk regarde fixement le téléphone que M. Kim a reposé sur la table. Sur l'écran, le visage du chanteur en pleine action évoque à s'y méprendre l'expression d'un homme qui hurle de douleur, avec sa bouche grande ouverte et ses yeux fermés.

— S'il voulait qu'on sache, pourquoi il ne m'a rien dit ? lâche Minhok. Je ne comprends pas pourquoi il ne m'a rien dit ? J'aurais été là pour l'aider... j'aurais...

Minhok s'étrangle devant nous, avant de se frapper les cuisses et de se lever brutalement.

— Je n'aurais jamais laissé passer ça, conclut-il en montrant le téléphone du doigt.

Puis, il s'éloigne en direction de la fenêtre. Je fais mine de me redresser pour le rejoindre, mais l'avocat m'en dissuade en levant un bras dans ma direction.

— Song Minsuk n'a parlé de ces évènements à personne avant moi, tente-t-il d'une voix aussi posée que possible. Votre frère ne voulait pas vous impliquer. Il voulait vous protéger...

Le jeune homme croise les bras. Il nous tourne pratiquement le dos, de trois quarts, son profil se découpe sur la toile de fond d'un ciel sans nuage, si éblouissant que j'ai du mal à distinguer ses traits.

— Et qui le protégeait lui ? murmure-t-il.

Lentement, l'homme de loi quitte son siège et s'approche à son tour de la baie vitrée.

— Je crois qu'on s'est tous trompés, explique M. Kim. Song Minsuk ne se doutait pas en venant me voir qu'il révélerait un détournement aussi important. Il ne pouvait pas connaitre les sommes qui étaient concernées, ni la gravité des actes commis par son entreprise. Non seulement il pouvait faire annuler ce contrat, mais Pak Entertainment aurait probablement dû lui payer des indemnités importantes. Elle aurait eu un redressement fiscal et des amendes pour tentative de fraude. Ce procès aurait pu détruire cette entreprise, et aussi mettre quelques personnes en prison. C'était plus grave qu'il ne le pensait et le temps que je l'avertisse, il était déjà trop tard... J'ai compris trop tard que la Kangpae était sans doute impliquée.

J'écoute attentivement le discours de l'avocat, qui m'oblige à serrer l'accoudoir du fauteuil. Minhok, lui, reste impassible.

— Vous comprenez, insiste l'avocat. Ce n'est pas un litige employé-employeur comme les autres. Il s'agit de milliards de wons... J'allais conseiller à Minsuk d'allait voir quelqu'un d'autre, un avocat plus aguerri. Mais, lorsque j'ai compris que cette affaire me dépassait, il était déjà trop tard... Minsuk est venu me voir pour attaquer son entreprise et, quelques jours plus tard, il m'a rappelé pour renoncer. Ensuite, il se suicide... Je suis désolé de vous le dire, mais cela ressemble à un meurtre.

Il se tait, nous laissant le temps de digérer la nouvelle. Le mot. Le mot « meurtre » vient d'être prononcé. La plus lourde de toutes les accusations.

Minsuk. Minsuk aurait été assassiné !

Cela signifie que quelqu'un m'a enlevé Minsuk, privé de lui définitivement, en maquillant cela en suicide... J'ai failli en perdre la raison. Ceux qui ont assassiné Minsuk m'ont fait du mal personnellement, à moi et à tant d'autres.

— Un meurtre ? répète Minhok, avec une voix blanche. Vous êtes en train de me dire que Minsuk a été tué pour de l'argent ?

— Oui, pour des milliards de wons. Je connais des gens qui ont été tués pour quelques millions. Alors des milliards !

— Mais vous avez une preuve ?

— Vous ne me croyez pas ?

— Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai demandé si vous aviez des preuves ! Qui ? Quand ? et comment ?

— Je ne sais pas, avoue l'avocat. Je n'ai que ce que Minsuk m'a dit et les preuves des détournements de fonds. Le mobile est là...

Puisque M. Kim n'ajoute rien, j'interviens en me redressant :

— Et nous savons aussi que Han Jeongtaek fréquente Pak Entertainment. Je suis sûre que si quelqu'un a tué Minsuk, c'est lui... Nous savons très bien qu'il est dangereux, qu'il en est capable.

Minhok se tourne vers moi. J'arrive enfin à voir ses traits, une noirceur accablante les figent.

— Si c'est vraiment lui on ne pourra rien faire ! Cet homme parvient à éviter la prison depuis des années. Il cache très bien ses activités. Il n'y a jamais de preuves. Aucun procureur ne l'a eu jusque-là. Vous croyez que nous, avec un meurtre qui remonte à quatre ans, nous allons pouvoir en apprendre plus ?

Puis, il s'adresse directement à maitre Kim, non sans une certaine agressivité :

— Vous parlez trop tard ! Vous auriez dû me dire ça il y a quatre ans. On aurait peut-être pu agir.

— Vous... vous devez vous mettre à ma place.

L'avocat essuie de la sueur sur son front.

— Votre frère est mort parce qu'il en savait trop. Quelqu'un faisait probablement assassiner tous les témoins de l'affaire... J'ai eu la trouille. J'ai toujours la trouille. Je suis un avocat spécialisé dans le droit du travail, c'est tout, rien qu'un avocat spécialisé dans le droit du travail. La lutte contre le crime organisé, cela dépasse mes compétences.

Minhok inspire, puis expire, longuement, profondément. Il reprend d'une voix contractée :

— Non. Non, je ne voulais pas vous faire de reproches. Vous n'êtes pas responsable...

Il se met en mouvement, se dirige vers le pendule. Je l'observe lisser la surface du sable dans la vasque. Ensuite, il saisit le pendule, le soulève et le lâche. L'objet se balance, Minhok suit le mouvement des yeux, sans que cela ait l'air de l'intéresser. Chaque passage du pendule au-dessus du sable s'enregistre dans le sédiment ocre.

— J'aurais dû faire mon enquête à l'époque, repérer plus tôt les traces que mon frère avait semées derrière lui. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Je vous remercie d'avoir accepté de nous parler aujourd'hui, de nous avoir montré tout ça. Cela a dû vous demander du courage, vous n'étiez pas obligé.

Les empreintes dans le sable ne dessinent pas un trait, mais l'équivalent d'une rosace parfaite, mais encore incomplète.

— S'il vous plait, demande l'avocat. Je ne veux pas que mon nom apparaisse dans cette affaire.

— Je vous jure que nous garderons le secret.

Puisque l'homme tourne la tête vers moi, j'acquiesce.

— Oui, je ne dirai rien non plus. Je le jure.

Le pendule vient d'achever la rosace et commence maintenant un deuxième tour, en surlignant sa trajectoire. Minhok se désintéresse alors de l'objet.

— Vous n'avez rien d'autre à nous dire ? demande-t-il.

L'avocat parait pris de court par le calme soudain de Minhok. Je reconnais qu'il m'inquiète moi aussi.

— À part ça... non rien.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant