87. Cher journal... (réécriture)

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Nous sommes J+2 après la crise de Changwon

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Nous sommes J+2 après la crise de Changwon.

À partir de maintenant, je compterai les jours. D'aucuns décomptent les jours avant leur libération, moi, je dénombrerai ceux qui me séparent de ce jour néfaste, celui où j'ai vu pour la première fois la cage dans laquelle j'étais enfermé.

En plus, je viens de remarquer que cette date coïncide avec le jour de la mort de mon grand-père. Quelle honte ! Je n'ai pas téléphoné à ma grand-mère ou à mon frère. Je n'ai pas tenu de gijesa[1]. Pas une seule pensée pour mon Papi. J'étais si coupé du monde que j'ai manqué cette date si importante. Minhok doit me maudire en ce moment. Quant à mon grand-père, j'imagine son désarroi.

Je n'ai pas fait honneur à sa mémoire.

J'ai fermé les yeux sur les escroqueries de mon entreprise, et pour quoi ? Parce que je voulais préserver ma carrière. Depuis quand ai-je troqué mes valeurs contre des applaudissements ?

Mais, grâce à Changwon, ça va changer. Grâce au 19.10.2014, je compterai les jours jusqu'à ce que je puisse redevenir digne d'être le petit-fils de Song Minjoon, et de me regarder à nouveau dans une glace.

Je n'oublierai plus. L'éducation transmise par mon grand-père est dans mon cœur.

Je me souviens, à présent, d'avoir lu Martin Luther King au collège. Et le pasteur gronde dans ma tête :

« Une injustice commise n'importe où est une menace pour la justice partout. »

Je me souviens, à présent, d'avoir lu J.H. Griffin au lycée. Son livre qui s'achève par ces mots :

« Alors nous devrions tous payer, pour n'avoir pas depuis longtemps exigé la justice. »

Je me souviens, à présent, d'avoir lu la biographie de Che Guevara à vingt ans. Et voilà que dans ma tête, un guérillero fume un havane et me souffle :

« Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n'importe quelle injustice commise contre n'importe qui, où que ce soit dans le monde. »

Chaque fois, il s'agissait d'allusion à des combats du passé ; au Mississippi ou à Cuba, c'était loin de moi tout ça. Mais quand j'étudiais leurs parcours, quand j'apprenais leurs discours, je vibrais d'admiration, tout comme j'ai admiré la force de mon grand-père, qui a encore l'injustice d'un dictateur moulée dans les phalanges.

Chaque fois, je me suis demandé : « Et moi, si j'avais été témoin d'actes d'injustice, de l'oppression des uns par les autres, qu'aurais-je fait ? Qu'aurais-je dit ? Si j'avais été le juge de ces pétitionnaires, en 1972, à la place de mon grand-père, est-ce que j'aurais abandonné ma carrière pour préserver mes valeurs ? Est-ce que j'aurais eu son courage ? »

Nous sommes deux jours après le 19 octobre 2014. C'est une date qui marque, qui fait mal. C'est une date catastrophique, l'heure de la lucidité. Une soirée pour ouvrir grand les yeux.

Je me suis toujours demandé ce que j'aurais fait si je devenais le témoin d'une oppression, d'une tromperie, d'actes répréhensibles devant la loi. Je me suis souvent interrogé, mais jamais je n'aurais cru que le problème surgirait de cette manière, si proche de moi.

Il y a ce dicton : « Il fait noir sous le pied de la lampe ». Cela signifie que ce que l'on cherche est souvent plus près de soi qu'on le pense. Je n'ai plus besoin de me demander ce que je devrais faire si... Je n'ai qu'à soulever la lampe et éclairer l'ombre qui se trouve sous mes propres pieds. La pourriture est incrustée dans mon propre monde, tout ce que j'ai construit, tout mon univers est corrompu.

Le mal que je m'étais fait un devoir de combattre, il est là où je me trouve.

[1] Le Jesa est le banquet des ancêtres servi à la cérémonie funéraire en Corée du Sud. Le Gijesa est pratiqué tous les ans le jour de la mort de l'ancêtre. 

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant