80. Cher journal... (réécriture)

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Ce matin, très tôt, on m'a demandé si je souhaitais toujours voir les comptes

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Ce matin, très tôt, on m'a demandé si je souhaitais toujours voir les comptes. Je ne me le suis pas fait dire deux fois.

J'ai été conduit dans la pièce des archives. Elle n'a aucun nom officiel, alors je m'autorise à lui trouver un petit surnom. La pièce des archives est une appellation qui lui va bien. Une salle sans fenêtre, un peu sombre. J'aurais pu aussi l'appeler la bibliothèque interdite. Peu de pièces sont aussi confidentielles que celle-ci à la Pak. Je ne suis venu que deux fois ici auparavant : pour signer mon contrat de trainee et, plus tard, celui d'Idol.

Nous étions seuls, moi et le chef comptable en personne.

— Si vous voulez des explications, je suis là, répétait-il souvent.

Je ne savais pas comment le prendre. Alors que j'aurais dû considérer sa présence comme une aide bienvenue, je dirais plutôt qu'elle m'a mis mal à l'aise. Considérait-il que ma demande constituait, à elle seule, une remise en question de son travail ?

Et s'il était là pour mieux faire passer la pilule ? J'avais la désagréable impression qu'il m'orientait, qu'il veillait à ce que je n'en apprenne pas trop. Et toutes ces explications... qu'il me donnait avant même que je ne pose des questions. J'ai fini par trouver son manège plus louche que rassurant.

— Que veux-tu voir exactement ?

Telle a été son entrée en matière. Je n'avais pas une idée précise de la réponse.

— Je veux connaitre les détails des calculs. L'entreprise m'a indiqué que nous avons fait plus de onze milliards de recettes. Et donc, que nous avons dépensé, aussi, onze milliards de wons. En trois ans. Je n'ai que les relevés bruts, les totaux. Je voudrais comprendre où a été investi cet argent.

— Vous savez M. Song. Accompagner un artiste dans la culture mondiale est très très coûteux. Notre but n'était pas de faire de l'argent rapidement, mais de faire très fort, de vous accompagner le plus haut possible. Lorsque nous avons introduit votre carrière, le niveau d'effort et d'investissement que nous avons mis en place pour vous lancer a atteint un niveau jamais vu auparavant, dans aucune autre compagnie.

— Je le sais très bien. Je comprends totalement ça. Je connais les risques que vous avez pris pour moi. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai accepté de ne pas recevoir de salaire pendant plus de deux ans... Deux ans et six mois, maintenant. Mais... j'ai le droit de faire cette demande. C'est aussi mon argent. Je veux voir le détail des calculs.

Le chef comptable s'est éloigné pour aller fouiller dans les placards d'archives et de contrats, et il est revenu avec un dossier. J'ai été étonné de découvrir un classeur si menu ; deux ans de dépenses colossales, stockées dans une vingtaine de feuilles de papier.

C'était seulement ça les relevés de comptes ! Le grand secret de la Pak. La recette du succès, comme l'avait dit mon PDG.

— Seulement ce classeur ? Je m'attendais à... autre chose.

— Ce ne sont que les bilans des sorties, sans les justificatifs. Il y a vingt autres classeurs qui contiennent les factures et les devis. Ce sont les justificatifs. Vous voulez que je vous les sorte tous ?

— Non merci. Je vais d'abord regarder ça... pour commencer.

Je me suis assis, j'ai allumé la lampe, puis j'ai ouvert le dossier.

Comme je m'y attendais, ces documents étaient difficiles à interpréter pour une personne comme moi, qui n'y connait rien en comptabilité.

Tous ces chiffres semblaient dire exactement ce qu'on avait voulu m'expliquer l'autre jour : nous avons longtemps dépensé beaucoup plus d'argent que nous n'en avons gagné.

J'ai constaté que nous avions fait énormément de gains au moment de la sortie du tube Crazy Love. Étrangement, les dépenses s'envolaient aussi durant cette période : trois milliards de wons de sorties en seulement trois mois. J'ai décidé de me concentrer là-dessus.

Certaines dépenses m'étaient familières et je savais à quoi elles correspondaient. Par exemple, le tournage du clip de Ange et démon. En revanche, je n'ai pas compris certaines autres dépenses. L'une d'elles, une petite ligne de rien du tout dans ce classeur, notifiait des frais s'élevant à un milliard et demi de wons. Une belle somme !

Il y avait marqué que l'argent était parti à des fins de « promotion des albums ». Rien de plus que ces quelques mots : « promotion des albums ». Un milliard et demi de wons. Pas de renvoi vers des entreprises, pas d'adresse, de nom, ni de numéros de téléphone.

— Monsieur. Je peux vous demander ce que signifie : « promotion des albums » ? Concrètement, à quoi sert cet investissement ?

— À promouvoir les albums, j'imagine.

Son ton était mordant. Voulait-il faire de l'humour ? Il n'a pas de chance, je suis très premier degré. Surtout dans ces moments-là.

— Mais concrètement ? Qui a reçu cet argent ? Des publicitaires ? Des radios ? Des chaines de télévision ?

— Je n'en sais rien. Qu'est-ce que j'en sais ? Si ça se trouve, c'est aller sur le compte en banque de M. Park.

Il s'est mis à rire de sa plaisanterie, et je me suis forcé à l'imiter. J'ai émis un petit cri malaisant, qui sonnait faux, même à mes propres oreilles.

— Oui, bien sûr. Vous ne pouvez pas tout savoir. Je pourrais avoir les factures et les justificatifs de paiement de cette ligne, s'il vous plait ?

Je l'ai vu hésiter mais, finalement, il s'est exécuté.

Pendant qu'il avait le dos tourné, qu'il cherchait dans les porte-documents la chemise que je lui demandais, j'ai sorti mon téléphone discrètement. J'avais tout anticipé : le mode silencieux et la désactivation du flash. J'ai shooté la page où se trouvait l'anomalie (bien que rien ne me prouve qu'il s'agisse réellement d'une anomalie), puis, j'ai aussi pris toutes les pages correspondant à 2013 et 2014. Je ne suis pas remonté plus loin. Au moment où j'ai rangé mon téléphone, le chef comptable s'est retourné. Il avait dû apercevoir la fin de mon geste, car il a froncé les sourcils... 

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant