Je dépose ma valise dans notre premier hôtel. Je sors encore mon journal et me dépêche de noter. Gong vient de m'avertir :
— Nous partons bientôt. Ce n'est pas le moment d'écrire ton mémoire. Lâche un peu ce journal, tu veux ?
— Je n'en ai que pour deux minutes.
Il n'insiste pas. Tant mieux. Écrire ne m'a jamais mis en retard. Je ne sais pas ce qui lui prend. Il est un peu à cran.
Je tiens vraiment à écrire, car je veux que le sentiment que je ressens, maintenant, soit reporté avec le plus de fidélité possible. Qui sait ce qu'il m'en restera si je mets cette émotion en attente trop longtemps ?
Il y a un peu moins d'une heure, lorsque je suis descendu de l'avion, à l'aéroport de New York, j'ai compris pour la première fois que ma notoriété était bien réelle.
J'ai quitté mon siège, comme tous les autres passagers, puis nous sommes allés chercher nos valises. J'ai observé les lieux avec l'intérêt de celui qui visite l'étranger pour la première fois. Partout, il y avait des preuves de notre localisation : des publicités pour visiter la statue de la liberté, des douanes interminables typiques des États-Unis. Les voyageurs, à bord de notre vol, étaient pour moitié des Asiatiques. Dans les couloirs, j'ai commencé à remarquer le changement de population. J'ai vu beaucoup d'hommes blancs, des femmes blondes et des noirs américains. Il me tardait de sortir et de voir New York, enfin.
J'avais la tête ailleurs. Mes sentiments étaient ceux d'un touriste lambda. J'avais oublié les raisons de ma venue. Si bien que, lorsque nous sommes véritablement arrivés à New York, j'ai pris de plein fouet la foule venue là pour m'accueillir. J'ai mis un peu de temps à comprendre qu'elle était là pour moi.
Gong et trois autres personnes de nos équipes se sont resserrés autour de moi. Aucune barrière n'avait été placée, nous devions circuler au contact direct de mes fans new-yorkais.
Il y a eu des bousculades. J'ai compris, en sentant les bras de mes managers me pousser en avant, que dans cette situation, pour ma sécurité, je ne devais pas ralentir.
Les fans ont hurlé sur mon passage. Leurs mains se sont tendues vers moi sans parvenir à m'effleurer. Je me la suis joué grandes stars hollywoodiennes, j'avais mes lunettes de soleil sur les yeux, un grand bonnet qui masquait en partie ma tête, le staff de sécurité et les fans en haie d'honneur. Nous avons tranché la foule, nous sommes passés d'un air hautain en les ignorant, et j'ai fait comme si je ne les avais pas entendu hurler (dans un coréen que j'ai eu du mal à reconnaitre) :
— Je t'aime Minsuk !
Et aussi :
— I love you ! I love you Minsuk !
Je dois l'écrire ici, parce que c'est vrai : je suis aimé, je suis suivi et adulé par des femmes qui me vouent un véritable culte. Ces femmes ne reculeraient devant rien pour venir me voir en vrai. Je me sens reconnaissant en songeant qu'elles ont travaillé dur, dans des boulots sous-payés, pour obtenir une place de concert, puis qu'elles ont traversé le pays, et patienté, debout, une journée entière, tout cela pour m'apercevoir dans ce hall d'aéroport.
Et moi, je ne leur ai pas même offert un sourire ! Je dois dire, pour ma défense, que j'ai eu un peu peur. Cette masse. J'ai craint l'étouffement, le piétinement.
Au sortir de l'aéroport, je me suis éclipsé à l'avant d'une voiture dont les vitres étaient teintées. J'ai ressenti un soulagement qui, à présent, me fait un peu honte. Je me suis senti heureux de retrouver la sécurité, après ce bain de foule.
J'ai fermé les yeux et j'ai repensé à ce que je venais de vivre : découvrir de mes propres yeux et de mes propres oreilles ces fans de l'autre bout du monde.
Je prends conscience que j'ai effectivement atteint le statut d'idole.
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Pour Minsuk
Mystery / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...