73. Impardonnable (réécriture)

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J'aurais préféré qu'il ne me montre jamais ça, jamais.

Il pose ses mains sur moi, mais je garde les yeux fermés et mes paumes restent plaquées devant ma bouche, comme si j'allais vomir ou crier. Sa voix tente de me rassurer.

— Ce n'est pas la peine de te mettre dans un état pareil. Je vais bien, maintenant. C'est du passé.

— Non. Non.

Je secoue la tête.

— Jeanne, calme-toi.

Et lui ? Comment peut-il être si calme ? Je rouvre les yeux et le dévisage, comme si je le contemplais pour la première fois. Il me regarde tristement.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as l'air...

Il ne sait pas comment finir sa phrase. Apparemment, mon apparence est indescriptible...

— Jeanne...

Il s'approche vers moi et tente de m'enlacer. Je le repousse de toutes mes forces, si violemment qu'il bascule. Aussitôt, je me redresse, maladroite sur mes jambes.

— Mais qu'est-ce que t'as ? s'exclame-t-il.

Je me dirige vers mes vêtements éparpillés. J'enfile ma culotte, mon jean. Je ne suis pas assez forte pour revivre ça, pas encore.

— Jeanne, qu'est-ce que tu fais, là ? Tu pars ?

Il se redresse à son tour. Je m'applique à le fuir du regard, à m'écarter quand il tente de s'approcher.

— Tu vas pas partir, là ?

Sa voix change d'octave.

— Tu... tu ne peux pas partir comme ça ? Sans m'expliquer ce qui se passe ?

Je suis en train de refermer le bouton de mon jean. Rémi se dépêche à son tour de remettre son caleçon et son t-shirt, tout en insistant :

— Jeanne ! Tu pourrais... tu pourrais m'expliquer.

Je me dirige vers mon soutien-gorge, je l'attrape et le passe. Soudain, Rémi s'approche et m'attrape le bras, me force à le regarder.

— T'es folle ou quoi ? Pourquoi tu réagis comme ça ?

J'explose.

— Ah, ah, parce que c'est moi qui... c'est moi qui réagis bizarrement ! Tu as tenté de te tuer ? Tu t'es ouvert les veines ! Comment tu veux que je le prenne, que je te pardonne un truc aussi... aussi abominable !?

Le visage de Rémi se décompose.

— Je... j'étais un ado et j'étais très malheureux. Je ne dis pas que j'en suis fier... mais là, tu exagères.

— Lâche-moi !

Il refuse, son bras se serre toujours plus fort autour du mien, à me faire mal.

— Lâche-moi ! hurlé-je plus fort.

Il obéit. J'attrape ma chemise sur le sol. Dans mon champ de vision, sans jamais le fixer directement, je surveille les déplacements de Rémi. Il vient vers moi, renonce, part dans une autre direction, puis revient.

— Je pensais que tu comprendrais, explique-t-il. Tu as des cicatrices, toi aussi ! Sous tes mitaines, non ?

— Ce sont des scarifications, ça n'a rien à voir.

— Pourquoi ? Pourquoi ça n'a rien à voir ? Ça prouve que tu étais malheureuse, toi aussi. Tu sais ce que c'est, le dégoût de soi-même ?

— N'essaie pas de m'embrouiller, craché-je en enfilant ma chemise. Le suicide est un acte égoïste inexcusable. Il faut être... une personne horrible pour oublier que des gens tiennent à vous et faire ça, en laissant tout le monde derrière.

Mettre les boutons un à un me prend beaucoup trop de temps. Je veux partir, vite. Je n'ai pas envie de me justifier. Je ne dois aucune explication à Rémi.

— Tu dis que je suis quelqu'un d'horrible ?

J'attrape mon sac, mes chaussures, et me dirige vers la porte du studio. Aussitôt, le jeune homme se met entre la sortie et moi.

— Pousse-toi.

— Et ton idole !? Ton Minsuk adoré, ironise-t-il. Il s'est bien foutu en l'air, lui. Tu l'admires encore vachement pour quelqu'un qui a osé commettre le pire acte du monde à tes yeux...

Il appuie son dos contre la sortie. J'ai le cœur qui cogne encore plus fort. Minsuk.

— Il ne s'est pas suicidé, dis-je en le fusillant du regard. C'est faux ! Je n'y crois pas.

Il rit jaune.

— Alors ça, c'est la meilleure ! Si... Si ! Il s'est jeté du haut d'un pont, et ça ne ressemblait pas à un accident...

— Son corps n'a jamais été retrouvé. Sa lettre de suicide n'a pas été écrite par lui. La Pak sait des choses et cache la vérité. Ils ont quelque chose à se reprocher, c'est clair ! Je sais... je sais qu'il n'a pas fait ça... il n'a pas pu le faire.

Rémi me dévisage de la tête aux pieds. Je sais qu'il repense à mon classeur gris, à notre excursion dans les vestiaires du Burning Sun. Il comprend enfin.

— Alors, c'est pour ça que tu es là... pour prouver que Minsuk ne s'est pas suicidé ? C'est de la folie.

— J'y arriverai. Je te jure, je trouverai.

— Comment tu veux prouver qu'un truc ne s'est pas passé ? C'est impossible, Jeanne !

— Je trouverai un témoin, un indice. Il écrivait un journal intime qui est sûrement ici, à la Pak !

— Ici ?

Il est dubitatif. Peut-être qu'il croit que j'invente, que ce journal fait partie de mon délire.

— Normalement, c'est son frère qui devrait l'avoir, Minhok. Parce que Minsuk a légué son journal à Minhok. Et devine quoi ? Hein, devine ? Le journal n'a jamais été rendu. Ils disent qu'ils ne l'ont jamais retrouvé ? Qu'il s'est volatilisé.

Je m'emporte, je fais de grands gestes. Je sais que ça me donne encore plus l'air d'être folle, mais je n'arrive pas à me contenir.

— C'est louche ! C'est louche, tu ne trouves pas ? Je suis sûre qu'ils l'ont fait disparaitre.

— Donc, si je récapitule... Tu cherches à prouver qu'un homme qui s'est suicidé ne s'est pas suicidé... Donc, tu cherches à prouver qu'un truc qui est vraiment arrivé n'est pas arrivé en cherchant un objet qui n'existe plus...

— Je... je sais que j'ai raison. Je te prouverai, à toi et aux autres, qu'un homme comme lui ne peut pas s'être suicidé.

— Un homme comme lui ?

— C'était un homme bien, chuchoté-je.

Rémi se tait, me jette un regard noir. Si blessé que, finalement, il se pousse pour me laisser sortir du studio.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant