En effet, Seong Kitaek vient de passer le seuil du restaurant.
Il rajuste sur son nez ses lunettes rondes, qui paraissent toutes petites par rapport à son visage large. Je lui donne approximativement le même âge que Minhok. Les deux hommes échangent une poignée de main distante.
— Seong Kitaek, se présente-t-il.
— Jeong Youngjae, répond le journaliste.
Je cache ma surprise, tout en tendant ma main à mon tour. Dois-je mentir également ? Si c'était nécessaire, il me l'aurait suggéré. Je serre la main, m'incline légèrement et entrouvre les lèvres pour me présenter, lorsque Minhok me coupe la parole :
— Et je vous présente Jeanne Daussy, une stagiaire française qui vient étudier le journalisme ici. On ne m'a pas laissé le choix... Faites comme si elle n'était pas là.
J'avale ma salive. Même notre invité semble gêné de son mépris affiché.
— Elle... elle ne comprend pas le coréen ?
— Si. Pourquoi ? dit-il en faisant signe à Kitaek de s'assoir.
L'homme me jette un regard confus tout en s'asseyant en face de nous. Chacun dans son camp : d'un côté de la table ceux qui poseront les questions et de l'autre celui qui devra y répondre.
— Ça ne vous dérange pas que j'enregistre ? demande Minhok en déposant son téléphone portable entre eux, le doigt prêt à lancer l'application.
— Vous n'allez pas citer mon nom ?
— Comme convenu.
— Alors, ça me va.
L'entretien commence, sans plus de politesses. Minhok demande à Kitaek de décrire ce qu'il a vu ce jour-là. À quelle distance il se trouvait ? S'il était sur le pont ou en dessous ? Combien de personnes étaient présentes ? À quelle heure précise cela s'était passé ?
Kitaek répond à tout. Parfois, il s'interrompt comme pour faire un effort de mémoire. Souvent, il rappelle : « Ça fait longtemps, je ne me souviens plus de tous les détails. »
Sans me soucier de paraître impolie, je fixe directement cet homme. Je sais qu'en Asie regarder un inconnu dans les yeux ne se fait pas. Minhok lui-même interviewe notre témoin en fixant un point au niveau de son menton.
Plus je l'observe, plus ma conviction se renforce : cet homme ment, et il le fait très bien, un véritable professionnel.
— Personne n'a filmé à ce moment-là ?
— Je ne crois pas. Je n'ai vu personne filmer.
— Le rapport de police dit qu'aucune caméra n'a filmé la scène, pourtant la zone est sous vidéoprotection. Vous sauriez l'expliquer ?
— Moi ? Je ne sais pas. Il était probablement dans un angle mort par rapport aux caméras, qu'est-ce que j'en sais ?
Pour un homme honnête, je le trouve beaucoup sur la défensive.
— Vous souvenez-vous de quel côté du pont c'était : vers l'aval ou vers l'amont ?
— Je ne sais plus...
— S'il vous plait, faites un effort.
— Je... je ne sais plus. Désolé.
— Au milieu du pont, plutôt du côté du nord ou plutôt du côté du sud.
— Ce sont des détails dont je ne peux plus me rappeler, maintenant. C'était il y a trop longtemps.
Je comprends que Minhok cherche encore la preuve parfaite, filmée. Il semble un peu déçu, mais préfère de pas insister.
VOUS LISEZ
Pour Minsuk
Mystery / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...