« Tu me fais marcher ! »
Tel a été la réponse de Soumaya.
Pour la convaincre que je lui disais la vérité, que je n'inventais pas, il a fallu que je lui envoie une photo de moi et Rémi, l'un aux bouts des lèvres de l'autre.
Quant à Minhok, j'ai dû énormément le décevoir, car il ne me donne plus signe de vie depuis son coup de colère injustifié. Des jours passent, puis une semaine entière.
Je ne réalise pas. Le temps s'écoule à un rythme indolent. Je suis en pause, en vacances. Rien ne me touche, mis à part les mains de Rémi, longues, douces, presque féminines. Le contact de sa peau sur la mienne, sa langue, son pouls que j'entends quand je dépose mon oreille sur son torse après l'amour.
Je m'éloigne de plus en plus des préoccupations qui étaient les miennes. Au point de ne plus sursauter quand la porte de la salle de danse s'ouvre tardivement. Nous n'avons pas revu M Park depuis la soirée du Burning Sun.
Je ne ressens aucune frustration, aucune urgence. Pourtant, les jours deviennent de moins en moins nombreux avant l'échéance, la fin de la période d'essai.
Je n'y pense que parce que Nanae en parle, parfois. Elle s'inquiète. On raconte que la Pak ne conserve que 10% de ces stagiaires. Elle me confie que ses notes seront insuffisantes et je n'arrive pas à compatir. J'ai conscience que c'est important pour elle, mais je n'ai pas envie qu'elle reste dans cette entreprise, le label des talents qui durent. Pour l'instant, je garde le silence, mais quand viendra le bon moment, je lui parlerai franchement ; je lui conseillerai de partir.
Quand ma jeune amie ne me cause pas boulot, elle m'interroge sur ma relation avec Rémi. Bientôt deux semaines que dure cette aventure clandestine. Je commence à me poser des questions. Est-ce que je suis en train de tomber amoureuse ? Et lui ? Qu'est-ce que je suis pour lui ?
Il ne sait presque rien de moi. Il n'a même pas encore vu mes cicatrices. J'ai acheté des mitaines longues, pour qu'il puisse m'ôter le haut, dégrafer mon soutien gorge et ne rien remarquer. Pourtant, je ne suis pas sûre qu'il soit dupe. Un jour, il posera la question. Un jour, il voudra que je lui parle de moi et je ne saurai pas comment réagir. J'ai peur de tout gâcher.
Il y a la raison dingue de mon arrivée ici. Comment lui dire que j'enquête sur le passé de Minsuk, que je ne crois pas à sa mort, pas à son suicide ?
Et il y a mon passé. J'ai vécu des choses qui ne sont pas faciles à raconter, la véritable provenance de mes scarifications - pas celles que j'ai faites récemment, après la mort de Minsuk - non, celles que j'avais avant, mes blessures originelles.
Avant d'arriver chez les Laaziz, j'avais déjà les bras couverts de ces coupures régulières, sèches, masochistes. Comment expliquer ce que j'ai vécu avant mes douze ans, sans qu'il ne me prenne pour une folle ?
J'appréhende tellement ce moment, que je me suis surprise à faire des cauchemars. Je rêve de ma maison d'enfance, de ma mère qui joue au piano, de mon père qui m'embrasse sur le front avant d'aller travailler. Puis, je me retrouve sous la douche, l'eau coule sur mon corps nu, blanc. J'ai une lame de rasoir dans la main. Je baisse les yeux et je constate que du sang colore l'eau transparente qui file dans le siphon. Puis, la nuance rosée vire de plus en plus vers le pourpre soutenu. Dans des quantités inhumaines. Une quantité de sang trop importante pour qu'elle vienne uniquement de mes coupures. Je relève la tête : la poire de douche crache du sang. Ce n'est pas le mien. Je hurle. Je pleure. Le sang me souille ! J'ai peur. J'essuie rageusement ma peau, avec mes doigts, mes ongles. Je frotte. Je ne veux pas que ce sang me souille. Je ne devrais pas être là. Ce sang, à qui appartient-il ?
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Pour Minsuk
Misterio / SuspensoQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...