Le commissariat sent le tabac froid et la lavande de synthèse, un étonnant mélange entre un relent de poison mortel et une odeur de propre un peu trop capiteuse. Sans trop savoir pourquoi, je pense à l'odeur des hôpitaux, leur parfum universel d'antiseptique.
Peu de temps après la fusillade, des policiers sont venus nous trouver sur les berges. Il leur avait suffi d'observer les images diffuser par l'appareil de Minhok pour deviner où nous nous trouvions. Nous avons dû les suivre.
Quand nous sommes arrivés au poste, les agents ont vérifié nos identités, nos papiers et mon visa vacance-travail. Ils m'ont confisqué mon sac à dos. Je me demande si je récupérerai un jour mon classeur gris. Ensuite, ils nous ont fouillé et le pistolet de Minhok a été trouvé. Malgré son attitude parfaitement docile et mes protestations, les policiers n'ont rien voulu entendre : ils lui ont passé les menottes, puis l'ont entraîné hors de la pièce.
— Où est-ce que vous l'emmenez ? ai-je demandé.
Je ne voulais pas me retrouver seule. Les policiers n'ont rien répondu, mais Minhok m'a conseillé quelque chose juste avant de disparaître :
— Dites-leur toute la vérité.
Depuis, j'attends dans une salle qui a des barreaux aux fenêtres.
Je réalise à peine ce que je viens de traverser, ce que j'ai failli perdre. Mes mains se remettent à trembler dès que je me replonge dans ces souvenirs récents. Que se serait-il passé si Han et ses hommes m'avaient tout de même attrapée ? Soudain, j'ai terriblement envie de vider mon sac, de parler à quelqu'un. Je pense soudain à mes proches : Issam, Anissa et Soumaya. Surtout Soumaya, ma sœur... elle saurait m'écouter et trouver les mots pour me remonter le moral. Je me sens si confuse, choquée et seule.
Même si le fauteuil sur lequel je suis assise est très inconfortable, la fatigue me tombe dessus progressivement. Je n'ai presque pas dormi depuis la nuit où j'ai découvert les cicatrices de Rémi. C'était il y a deux jours, seulement deux jours. Les évènements ont été si riches. J'ai l'impression que cela fait plus de deux semaines déjà.
Je n'ai malheureusement pas le temps de m'assoupir ; deux policiers viennent me chercher pour me conduire dans la pièce adjacente. Ils me font asseoir devant un bureau. L'un des deux agents prend place derrière l'ordinateur, en face de moi, l'autre reste debout, adossé sur le mur à ma gauche.
— Nous pouvons faire venir un traducteur si vous le voulez.
— Non merci. Ce ne sera pas nécessaire.
— Tant mieux. Commençons tout de suite dans ce cas. Nous allons tout reprendre depuis le début si vous le voulez bien.
Je souffle. L'horloge murale indique 23 heures 48. Le policier a dû surprendre mon regard car il me précise :
— Nous sommes désolés de vous faire témoigner si tard, mais il y a eu une fusillade en pleine rue, et il y a eu des morts. Nous devons tout de suite savoir ce qui s'est passé. C'est une question de sécurité intérieure. C'est très sérieux. J'en profite pour vous rappeler que cet entretien est officiel et que le faux témoignage est puni par la Loi.
La tension qui règne dans cette pièce m'accable. Je ne peux pas m'empêcher de me sentir coupable, comme si j'avais réellement commis une faute impardonnable et que j'allais être jetée en prison. Pourtant, même si j'ai été maladroite, que j'ai mis des personnes en danger, je n'ai jamais eu l'intention de nuire.
J'inspire profondément. Je ne suis pas coupable. Cette fusillade, ce sang et ces morts, je ne les ai jamais désirés. C'est ce que je vais devoir leur faire comprendre. Moi, je ne suis qu'une victime. Pour preuve, j'ai toujours mes éraflures sur les bras et ma cheville tordue. Il s'agit de blessures trop superficielles pour qu'on décide de me conduire à l'hôpital... contrairement à Rémi.
— Est-ce que Rémi... balbutié-je, euh, Lim Woo Shik... Est-ce qu'il va bien ?
Les lèvres de l'agent qui m'interroge s'étirent légèrement.
— Je n'ai pas d'informations précises à vous fournir à l'heure qu'il est. Il a été conduit aux urgences immédiatement après l'intervention. Tout ce que je peux vous promettre, c'est qu'il est entre de bonnes mains.
— Vous me préviendrez quand vous aurez des nouvelles ?
— Oui.
— Merci.
Ensuite, ils m'interrogent, longuement. L'agent qui pose les questions ne montre jamais ses sentiments, mais celui qui retranscrit mes réponses hausse régulièrement les sourcils, incapable de dissimuler sa surprise. Qui s'attendrait à ce qu'une fusillade, une prise d'otages en plein centre-ville de Séoul trouve son origine dans la mort d'une star de K-pop, plus de quatre ans auparavant ? Qui aurait pu imaginer que la curiosité d'une jeune fan – une étrangère qui plus est – révèlerait autant de secrets ?
Comme me l'a conseillé Minhok, je ne leur cache rien. Je raconte toute mon histoire, sans négliger aucune péripétie, aucun détail. Je vais jusqu'à révéler la relation intime qui me lie à Rémi et la mort violente de mes parents biologiques. Durant de longues minutes les policiers m'écoutent sans jamais m'interrompre. Parfois, ils me demandent une précision, un éclaircissement. Finalement, je ne suis embarrassée qu'au moment où j'évoque la visite dans le cabinet de monsieur Kim. Je ne peux pas leur révéler l'adresse ou le nom de l'avocat. Sincèrement, je leur explique que j'ai fait une promesse. Pour l'instant, ils n'insistent pas.
Une heure et demie plus tard, j'arrive au bout de cet éprouvant récit. Je prie pour qu'ils me laissent enfin partir, pour qu'ils me libèrent. Le policier derrière l'ordinateur me demande si je veux un verre d'eau ou un café. Je remarque alors que l'ambiance s'est passablement détendue ; je ne suis plus suspecte à leurs yeux.
L'autre policier reste néanmoins plus grave. Il triture son stylo.
— Je pense que nous allons en rester là pour aujourd'hui. Nous n'avons aucune raison de vous garder ici plus longtemps ; vous pouvez partir.
Je me lève et me dirige vers la sortie quand il m'interpelle :
— Gardin !
Je me retourne.
— Vous êtes certaine de nous avoir tout dit ?
L'un de ses sourcils est plus haut que l'autre lorsqu'il me questionne.
— Oui, oui bien sûr.
Mon seul vrai mensonge.
J'ai gardé pour moi un dernier détail, un dernier secret. Une information dont je réserve l'exclusivité à la seule personne réellement concernée : Song Minhok.
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Pour Minsuk
Mystery / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...