Notre voiture se gare dans le parking de Mapo-dong, à proximité du lieu de rendez-vous. Au-dessus de nos têtes, de grands axes routiers s'emmêlent, perchés sur de gigantesques pylônes. Minhok est le premier à descendre et se dirige tout droit vers le coffre. Il sort de la malle une paire de jumelles et un appareil photo monstrueux, muni d'un téléobjectif deux fois plus grand que le corps. Ensuite, il revient devant, agrippe Gong pour que nous nous pressions vers le pont.
Nos pas se hâtent en direction du crépuscule. Le soleil darde déjà ses derniers rayons rouges par-dessus les grattes ciels de Séoul, comme pour mieux nous reprocher notre retard.
Devant nous, le pont de Mapo. Un géant : plus d'un kilomètre de long, huit voies de circulation, deux trottoirs et autant de pistes cyclables. Cet ouvrage moderne n'a ni le charme rustique du pont Neuf, ni l'élégance du Golden Gate. Ni douves, ni câbles, seulement une autoroute qui se déroule, toute en longueur, au-dessus des eaux.
— Il est temps pour nous de nous séparer, m'explique Minhok. Gong doit rejoindre le centre du pont, tout seul, tandis que toi et moi nous allons descendre vers les quais pour suivre la scène de loin.
Je transmets alors le journal au manager, en surveillant Minhok du coin de l'œil. Stoïque, il accepte le sacrifice silencieusement, même si son front se plisse et que sa mâchoire se serre.
— Allons-y, ordonne-t-il d'une voix atone.
Nous nous dépêchons de descendre quelques escaliers, puis de longer les rives bétonnées du fleuve Han. Dès que nous trouvons un bon point de vue, camouflés derrière un parterre de fleur, Minhok me prête ses jumelles et braque son propre appareil photo en direction du pont. Je l'imite et colle à mon tour les yeux contre les oculaires.
C'est à ce moment-là que tous les éclairages urbains s'illuminent, comme par magie. Le pont de Mapo s'offre un habit de lumières, lui donnant enfin la vie et la couleur qui lui manquait.
Au bout d'un moment, je repère Gong, qui m'apparait comme s'il n'était qu'à une vingtaine de mètres. Sa peur transpire au travers de sa démarche nerveuse, et je laisse à mes lunettes le soin de prendre de l'avance sur ses pas. Je remonte le pont vers le sud, jusqu'au monument. Difficile de manquer cette statue, sa robe de bronze, flavescente, reflète généreusement la lumière. L'œuvre d'art représente deux hommes sur un banc, côte à côte. L'un prostré, au visage affligé. L'autre souriant, aimable. Le second réconforte le premier en pinçant affectueusement sa joue de métal. Bien sûr, je ne peux voir ces détails, puisque les deux effigies statufiées me tournent le dos. Pourtant, mon cœur se serre en découvrant ce symbole du pont de Mapo.
« Réfléchissez-y à deux fois », c'est le nom de cette statue.
— On y est, commente Minhok au moment où notre homme fait son apparition devant la statue.
Il n'y a aucun piéton sur le pont ce soir-là. Gong demeure seul pour l'instant, aucun signe de Rémi, de Han, ou de ses hommes. Il n'en faut pas plus pour me faire paniquer. Et si nous étions arrivés trop tard ? S'ils avaient exécuté leur menace ?
— Qu'est-ce qu'on fait... qu'est-ce qu'on fait s'ils ne viennent pas ?
— Taisez-vous ! me coupe Minhok. Je crois qu'ils arrivent.
Je reporte mon attention sur le pont de Mapo. Une fourgonnette noire aux vitres teintées survient et s'arrête au niveau de la statue. Des automobilistes mécontents klaxonnent et contournent le véhicule qui leur barre la route. Mes ongles rentrent dans la paire de jumelles.
— Vous voyez la vitre qui s'abaisse à l'avant ? commente Minhok.
— Oui.
— Vous voyez quelque chose à l'intérieur du véhicule ?
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Pour Minsuk
Mystère / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...