Durant le trajet de retour, je dégrise lentement. Cette fois, c'est Nanae et non Ajeong qui est assise à côté de moi, à l'arrière de la Bentley. Son humeur joyeuse me rassure, mais je préfère m'assurer que la soirée s'est vraiment bien passée de son côté :
— Tu es sûre que personne ne t'a touchée ?
— Non, j'ai dansé et ils m'ont dit que j'étais belle.
— Mais tu sais ce qu'ils cherchent ? Tu sais que tu dois te méfier ?
— Oui, eonni. Je ne suis pas une sainte, je suis au courant. Je les laisse regarder, mais pas toucher. Je suis trop jeune pour ça... mon père me tuerait si j'osais, à mon âge !
Je me détends sur la banquette chauffée de la Bentley. La chaleur diffuse sur mon dos. C'est déjà un peu trop, je sue et me purge de l'alcool fort. En revanche, rien ne peut amoindrir mon euphorie. Rémi. Rémi. Rémi. Son nom psalmodie dans ma conscience. J'ai encore son gout sur mes lèvres, ses mains sur mon corps.
— Tu as déjà été avec un garçon, Jeanne ?
Je me tourne subitement vers Nanae. A-t-elle lu dans mes pensées ?
— Je... oui. Une fois.
— C'était quand ?
— C'était l'année dernière. À l'université. Un garçon m'a fait comprendre que je lui plaisais.
— Comment ?
— Je ne sais pas exactement. Il avait de petites attentions... il me souriait beaucoup. Presque rien, mais ça se voyait.
— Et...
— Il était plus vieux que moi, mais c'est moi qui aie pris la décision d'accélérer les choses entre nous. Je l'ai invité à sortir un soir. La nuit même, nous l'avons fait dans ma chambre étudiante.
— C'était bien.
— Pas mal.
Il y a une heure, je lui aurais dit : « super ». Mais le baiser impulsif échangé avec Rémi tout à l'heure vient de bouleverser mes échelles de valeurs. Avec mon étudiant, j'avais agi par curiosité, par calcul. Je n'avais pas d'affection sincère envers lui. Physiquement, il assurait : de grande taille, athlétique, des yeux émeraude. Je l'aurais présenté à mes copines sans honte, pourtant, quand on le faisait.
— Pas mal, répète Nanae. Et après ?
— Nous nous sommes revus régulièrement, pendant un mois ou deux. Ça n'a pas duré très longtemps.
— Pourquoi ?
— Nous nous sommes séparés d'un commun accord. J'allais partir en Corée du Sud et, lui, il avait déjà tendance à regarder d'autres filles.
— Ah. C'est moche.
Je garde le silence, même si je ne suis pas tout à fait d'accord. Il n'y avait rien de moche dans cette histoire. C'était la vie. En tout cas, Nanae s'attendait sûrement à plus de piments.
— Au moins, tu es célibataire, maintenant, conclu-t-elle avant de se retourner vers le paysage qui défile derrière la vitre de la voiture.
~
Notre groupe de filles sort des voitures de luxe en remuant. Beaucoup ne marchent pas très droit, la plupart parlent un peu trop fort à cette heure tardive.
— Taisez-vous, les filles ! Faites moins de bruit, réclame la manager Cho.
Nous nous dirigeons vers les ascenseurs et Nanae me donne un coup de coude, me montre Rémi dans le hall. L'homme est assis sur le banc sur lequel nous nous sommes rencontrés. Ironique attention de sa part. Risqué. À cause de la foule, je fais semblant de l'ignorer. Mais j'ai compris le message.
Je prends l'ascenseur avec le groupe pour ne pas attirer l'attention. L'article relatif aux relations de couple de mon contrat d'embauche n'a jamais quitté ma mémoire. J'ai conscience d'enfreindre les règles.
Une de plus, une de moins.
J'attends que les autres s'éloignent vers les vestiaires, avant de m'éclipser discrètement. Seule Nanae se rend compte que je rebrousse chemin. Elle attrape mon bras.
— Où tu vas ? chuchote-t-elle, bien que personne ne semble s'intéresser à notre conversation.
— Je redescends.
— Oh !
Je vois à son expression qu'elle comprend. Elle retient un petit gloussement de joie, avant de se reprendre :
— Attends ! Je dis quoi à Mme Cho ? Si elle voit que ton lit est vide, elle va...
— Dis-lui que je suis sortie faire des achats à la superette ouverte 24h/24, parce que j'avais une fringale. Insiste bien sur le fait que j'ai beaucoup... beaucoup bu à la soirée, que mon esprit était pas clair.
— Je... OK ! Let'go ! Pali pali. Tu me dis tout demain.
Elle me jette presque, et m'envoie un bisou imaginaire quand je m'éloigne. J'adore cette gamine.
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Pour Minsuk
Mystery / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...