84. Entourloupe (réécriture)

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— Song Minsuk est venu me voir le 21 novembre 2014. Il avait menti à ses équipes pour me rencontrer. Ce jour-là, il prétendait passer la journée chez sa grand-mère, à Incheon. Son manager l'avait déposé là-bas et devait revenir le chercher en fin d'après-midi. Alors, il semblait assez pressé, et surtout très fatigué. Je ne me suis pas vraiment inquiété... C'est très fréquent, dans mon métier, de recevoir des gens nerveux. On ne vient pas souvent me voir quand tout va bien.

Maitre Kim laisse échapper un rire sans joie avant de joindre ses mains sur ses genoux.

— Il avait pris en photo des documents confidentiels, à l'aide de son téléphone. Il m'a expliqué qu'il avait créé un dossier spécial, sécurisé par un mot de passe. Il disait avoir peur que son manager le découvre. En fait, il était sûr que son entreprise connaissait son code pin et qu'elle avait probablement déjà consulté sa liste de contacts et sa messagerie. Il était persuadé qu'on surveillait ses conversations. Je dois vous avouer que, au départ, je me suis demandé s'il n'était pas un peu paranoïaque. Puis, il m'a montré sa fiche de paie, il venait de recevoir son premier salaire... Attendez.

L'avocat quitte son siège et disparait derrière une porte, dans une pièce adjacente. Ce doit être une sorte de réserve, on l'entend fouiller dans des placards. Minhok et moi restons silencieux et immobiles, nous patientons.

Quelques minutes plus tard, M. Kim revient avec une pochette. Il pousse un pot à stylos pour déposer sa conquête sur la table basse. Automatiquement, je me redresse sur le canapé et me penche en avant. L'avocat parcourt la liasse et en tire une feuille volante.

— 13 500 euros[1], dit-il. Voilà ! C'était la somme. Évidemment, si Song Minsuk est venu me trouver, c'est parce qu'il espérait davantage. J'ai regardé sa fiche de paie, et ce qui m'a interpellé, c'est le manque de précision sur l'origine de cette somme. Pour un artiste de K-pop, les sources de revenu sont multiples et, ici...

Il secoue la feuille devant nous.

— ... On ne sait même pas si l'argent versé provient de la vente des albums, de celles des produits dérivés ou des places de concerts. Or, Song Minsuk m'a aussi montré son contrat.

Ses doigts s'agitent de nouveau pour extraire le document mentionné. Je devine tout de suite que le contrat qu'il nous présente n'est pas un original. Apparemment, Minsuk l'a pris en photo et l'avocat a dû tirer les clichés sur papier. Cela me rappelle le jour où j'ai signé mon propre contrat de trainee à la Pak, les consignes très strictes qu'on nous avait imposé : aucun contrat ne pouvait sortir des locaux. Minsuk a enfreint le règlement en amenant une copie du sien ici.

— Ici, il est bien précisé que la division change en fonction de l'origine du bénéfice, soit 10%, soit 20%, soit 50%. Là, rien dans cette fiche de paie ne me permet de savoir quelle division a été appliqué. C'est aberrant !

Je fronce les sourcils. L'avocat s'exprime dans un coréen professionnel dont le vocabulaire m'échappe. L'entretien risque d'être difficile à suivre pour moi.

— Divisions ? Qu'est-ce que vous voulez dire pas divisions ?

— C'est la répartition des profits entre l'entreprise et l'artiste, intervient Minhok, à ma gauche.

— Tout à fait, confirme l'avocat. Par exemple, la répartition était de 10% lorsqu'il s'agissait de marchandises, incluant la vente des albums et les produits dérivés. Donc, Minsuk devait toucher 10% des profits, et son entreprise 90%.

— C'est peu, remarqué-je.

L'avocat hausse les épaules.

— Hum... ça reste plutôt correct, en réalité. Certaines entreprises de K-pop proposent des répartitions moins avantageuses : SM Entertainment est connu pour proposer seulement 5% à ses artistes. Mais bon, comme je vous l'expliquais, la répartition peut évoluer en fonction de différents facteurs. Par exemple, pour Minsuk, elle devait devenir plus avantageuse avec le temps. Il devait obtenir 20% à partir du troisième album.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant