Ma lecture s'achève. J'ignore comment ma voix a pu soutenir le texte jusque-là, car j'ai le souffle aussi coupé que si j'avais reçu un coup de poing dans l'estomac. Je considère la forme prostrée du manager sur le sol du garage, puis le visage de Minhok, ses yeux sombres et les larmes qui ont coulées. Il abaisse son arme. Le froissement de sa veste lorsque son bras retombe est le seul son qui vient perturber le silence de la scène.
— Je n'arrive pas à y croire, dis-je.
Minhok tourne rapidement la tête, il essuie ses pommettes d'un geste discret.
— Vous avez lu vous-même, de vos propres yeux.
— Oui. Je sais. Mais je ne peux pas y croire. Cela voudrait dire que je me suis trompée pendant des années. J'ai passé des années à lutter contre le monde entier pour prouver qu'il n'avait pas pu se suicider... qu'il n'aurait jamais fait ça... pas Minsuk. Et maintenant...
Je brandis le journal telle une preuve.
— Je me rends compte que je n'avais rien compris du tout.
Mes mains viennent se poser sur mes jambes fléchies, je pourrais m'écrouler, tomber à genoux. Je ferme les yeux comme s'il y avait dans la pièce une trop grande lumière. Pourquoi la vérité doit-elle parfois faire aussi mal ?
— Vous n'êtes pas la seule à avoir voulu croire à une autre histoire.
La voix grave de Minhok veut me rassurer, mais son timbre familier a plutôt tendance à remuer le couteau dans la plaie.
— Mais, Jeanne, vous ne vous êtes pas trompée sur tout.
J'ouvre les paupières pour voir un homme qui se frotte les yeux comme s'il avait besoin de sommeil.
— Minsuk a bien été assassiné...
Je fronce les sourcils, perplexe.
— Vous ne voyez pas qu'il n'est pas mort tout seul ? Vous ne voyez qu'un suicide comme celui-là n'est pas différent d'un meurtre ? Ils ont tué Minsuk. La Pak a tué Minsuk. S'ils ne l'avaient pas poussé à bout... il n'aurait jamais... Vous aviez raison.
À cet instant, nos yeux s'accrochent et nous échangeons un très long regard. Ici, dans le garage de Song Minhok, quatre années après le décès d'un frère, six après celui de mes parents, je suis prise à la gorge par une nouvelle certitude : nous ne guérirons jamais de ces blessures. Suicide ou meurtre, Minhok sera toujours marqué par l'absence de son frère jumeau. Comme lui, je devrai à jamais porter ma croix. Je suis orpheline. Mon père n'embrassera plus mon front, ma mère ne fera plus de piano et Minsuk ne chantera plus jamais. Il faudra néanmoins que je choisisse les vivants.
Je me redresse pour de bon, étire mon dos, le journal serré entre mes doigts. Je ramasse mon sac à dos, en tentant de ne pas trembler.
— Je n'ai jamais compris pourquoi vous teniez tellement à ce qu'il soit en vie, me demande-t-il. Vous l'aimiez tant que ça ?
— Mes parents aussi se sont suicidés. Minsuk... c'était le suicide de trop pour moi.
Minhok garde le silence longuement. Il me dévisage d'une façon très crue, très directe. Il semble chercher ce qu'il convient de me dire après ça.
— Vous vous souvenez quand vous m'avez demandé si j'avais pardonné à Minsuk son suicide ?
— Oui.
— Je vous avais répondu que j'avais pardonné. Mais maintenant je comprends que j'aurais dû vous répondre autre chose.
— Quoi ?
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Pour Minsuk
Mystery / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...