89. Lui dire (réécriture)

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Nous avons pris congé de maitre Kim, un peu soudainement à mon goût, mais Minhok impose son rythme. Il en avait assez entendu et les salutations entre l'avocat et nous ont été expéditives. Maintenant, il conduit de la même manière qu'à l'aller : trop vite.

Je n'ose pas parler. Dans mon esprit, je m'efforce de revoir tous les détails, de raccorder entre elles chaque pièce du puzzle. Je ne crois pas qu'on ait forcé Minsuk à se suicider. Je pense qu'il a été tué autrement. Cela expliquerait le corps disparu : il aurait été retiré pour qu'aucune autopsie ne détermine la vraie cause du décès. Pareil pour le témoignage bancal de Seong Kitaek : probablement un menteur payé par la Pak, comme tous les autres témoins. Je pense que Minsuk ne s'est jamais rendu au pont de Mapo, raison pour laquelle Sunhee ne l'a pas vu sauter. Et si la lettre de suicide ressemblait à celle de Cobain, c'était parce qu'il s'agissait d'un faux, rédigé par les meurtriers pour brouiller les pistes.

Tout converge vers la théorie d'un meurtre, tous les éléments étaient réunis dès le départ pour m'amener à cette conclusion.

Pourtant, comme l'a fait remarquer Minhok, nous n'en savons toujours pas assez. Ni le quand, ni le où, ni le comment.

Où se trouve vraiment le corps ? Où sont les preuves ?

— Vous avez le droit de le dire !

Je sursaute. Minhok m'observe du coin de l'œil.

— Dire quoi ? demandé-je.

— Que vous aviez raison. Vous devez mourir d'envie de me dire que vous aviez raison, depuis le départ... Minsuk ne s'est pas suicidé.

Je ne réponds rien, la route défile rapidement. Les arbres plantés le long des trottoirs, ne sont plus en fleurs.

Comment Minhok peut-il penser que je tire une satisfaction de cette histoire ?

— Moi, je pensais qu'il était vivant... Je me suis trompée aussi.

— Mais vous aviez presque raison. Sur beaucoup de points, non ? Vous pensiez qu'il ne se serait jamais suicidé... moi, j'ai soutenu le contraire. Vous avez gagné.

Il tourne le volant et je manque de m'écraser contre la fenêtre.

— Vous allez pouvoir rentrer chez vous, maintenant. Non ?

— Moi ? Rentrer ?

Je ne sais pas quoi lui répondre. Je n'ai pas la sensation d'être arrivée au bout du chemin.

— Et vous ? demandé-je. Qu'est-ce que vous allez faire, maintenant ?

— Je vais réfléchir. Il faut que je continue. Je dois trouver des preuves et déterminer les circonstances réelles de la mort de mon frère.

— Je pourrai vous aider ?

— C'est hors de question.

Son ton péremptoire me laisse sans voix.

— C'est devenu trop dangereux, argumente-t-il.

— Mais...

— Avant, je vous demandais de retrouver le journal intime d'un suicidaire. Maintenant, c'est complètement différent. Il s'agit d'un meurtre. Un meurtre qui a sûrement été commis par des criminels de la Kangpae. À partir de maintenant, je vous interdis de poser des questions à propos de mon frère... Je ne sais même pas si je vais vous reconduire à la Pak, ça serait mieux que vous n'y retourniez pas. Après tout ce qu'on a entendu...

Un flash. Les visages de Nanae et de Rémi s'imposent à moi. Je n'ai pas repensé une seule fois à l'Ulzzang depuis que nous sommes entrés au 6 Teheran-Ro. Nom de Dieu ! Je dois leur parler. Surtout à Rémi. La dernière fois que je l'ai vu, il voulait résoudre lui-même le mystère Minsuk.

Je dois le trouver. Je vais pouvoir lui annoncer que je ne m'étais pas trompée à propos de Minsuk, c'était un homme bien, meilleur encore que je ne le pensais. Il a payé de sa vie son intégrité et sa droiture. Il s'est sacrifié pour ses valeurs, et, non, il ne s'est pas suicidé. Tout cela Rémi doit l'entendre.

Ensuite, je lui dirai ce que j'ai sur le cœur en ce moment ; lui dire qu'il me faudra du temps pour lui pardonner son acte, et pour que je décide ou non de lui faire à nouveau confiance ; lui demander pardon, pour mon manque de compassion ; lui dévoiler mes traumatismes, lui parler de mes parents ; enfin, lui demander de ne surtout plus se mêler de cette affaire, parce que je ne voudrais pas qu'il lui arrive quelque chose.

— Si, s'il vous plait, crié-je. S'il vous plait, ramenez-moi à la Pak... J'ai encore des affaires, là-bas ! Il faut que je les récupère.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée... Je vous amène chez moi. Vous prendrez le premier avion, demain matin.

— Quoi ? Attendez ! C'est une mauvaise idée. Si je disparais sans même récupérer mes affaires, ni donner d'explications, cela va attirer l'attention.

Il réfléchit.

— Vous avez raison, avoue-t-il à contrecœur. Bien... je vous ramène là-bas, mais vous restez là-bas seulement le temps de faire vos valises et de donner les formes à votre départ. Vous resterez discrète. Vous me promettez que vous n'enquêterez plus.

— Je vous le promets.

La Renault s'engage dans une avenue familière, je reconnais l'artère large où se trouvent les locaux de la Pak. Devant le bâtiment, Minhok arrête la voiture et déclenche l'ouverture centralisée, je descends sur la chaussée. Derrière moi, le Coréen me menace :

— Je vous préviens, je vous garde à l'œil ! Vous vous faites encore remarquer et je fais sauter votre Visa.

Sans lui répondre, je lui claque la porte au nez.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant