90. Cher journal... (réécriture)

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J'écris ces mots de la main gauche, la droite me fait un mal de chien

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J'écris ces mots de la main gauche, la droite me fait un mal de chien. Mes doigts cassés électrisent mon membre dès que j'esquisse un mouvement. J'ai remarqué que la maintenir un peu en hauteur, contre ma poitrine, rendait la douleur plus supportable ; alors que si je l'abaisse, au niveau du ventre par exemple, le sang descend, s'accumule, et les élancements s'accentuent.

Je n'ai plus que quelques heures à patienter avant qu'une infirmière vienne me bander la main et me passer le bras en écharpe. En attendant, je cale mon bras comme je peux et j'écris de la main gauche.

Gong est assis en face de moi, à la table du salon. Il me surveille. Mais ce matin, plus qu'aucun autre, j'ai le devoir d'écrire. Je ne sais pas si ce journal sera lu un jour. Gong connait bien son existence. Peut-être même qu'il devine que je suis sur le point de le condamner, de le juger au fil de mon écriture mal assurée. Il s'en débarrassera. Dès qu'il en aura l'occasion, il ira le brûler. C'est pour ça qu'il n'essaie pas de m'en empêcher, il sait qu'il le détruira.

Hier, l'avocat m'a confirmé que la Pak a sûrement détourné beaucoup d'argent. Bien plus que je ne l'imaginais. Il a estimé que trois milliards de wons avaient pu être volés.

Je suis rentré à Incheon et la manager Cho m'a raccompagné la Pak.

J'ai franchi le seuil de mon appartement, et aussitôt, Gong m'a giflé. Trop choqué pour répliquer, j'ai caressé ma joue en feu, pendant qu'il me hurlait dessus :

— Où étais-tu, vaurien ? Où ?

Il m'a attrapé par le bras et jeté en direction du salon.

— Où ? Tu n'étais pas chez ta grand-mère, je le sais. Où étais-tu ?

Comme il faisait un pas vers moi, j'ai protégé mon visage, derrière mon bras tatoué, en faisant en sorte qu'il remarque le pansement.

— Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est que ça ?

Il m'a arraché le bandage. Son visage s'est tordu en lisant la date tatouée sur mon corps.

— Tu... Tu. Tu as fait ça quand ?

— Tout à l'heure, dis-je en le fixant avec colère, je suis allé à Séoul pour me faire tatouer.

Je pensais qu'il allait me demander pourquoi, mordre à l'hameçon. J'avais tout prévu. Si mes supérieurs apprenaient que je n'étais pas allé chez ma grand-mère, je devais leur faire croire que j'avais pété un câble, et décidé de les provoquer. Un tatouage. La date où les masques étaient tombés, le jour où leur laideur m'était apparue en plein jour.

Afin de cacher une énorme bêtise, il suffit d'en avouer une moins importante, pour calmer les soupçons. C'est tellement plus crédible qu'un : « je n'ai rien fait. »

— Ton téléphone !

Je suis resté immobile, la paume de mon manager exigeait l'appareil autant que ses paroles.

— Ton téléphone !

Je l'ai sorti, mais au lieu de le lui remettre, j'ai attendu qu'il vienne le prendre lui-même. Gong est venu saisir l'objet, entre mon pouce et mon index, puis l'a tiré à lui. Là, il a senti une résistance de ma part. Par provocation, j'ai refusé ce passage de relai, retenant mon téléphone portable en otage entre lui et moi.

— J'ai changé le code de sécurité, lui ai-je dit froidement.

Le visage de Gong s'est figé. Son regard a vacillé de peur et de surprise, comme tous les coupables lorsqu'on les prend en faute.

Sa réaction prouve que Gong connaissait bien mon ancien code de sécurité. J'avais donc vu juste ; il avait déjà consulté le contenu de mon téléphone sans mon autorisation.

— Je sais que ce n'est pas vraiment fiable, ai-je poursuivi, si vous l'avez trouvé une première fois... Vous trouverez celui-là aussi...

— Ça n'a jamais été par plaisir.

— Non, je sais. C'est pour l'argent.

Il m'a jeté un regard noir, en m'arrachant mon téléphone des mains.

— Tu... tu te prends pour un justicier, c'est ça ! Moi, je suis le voyou et toi le justicier ! Tu vas les dénoncer, et après... Qu'est-ce que j'y gagne, moi ? Si tu dénonces la Pak, je vais perdre mon travail. Toi, tu auras des indemnités ! Mais moi ? Tous les employés de la Pak. Tous les autres groupes. Ajeong. Tous ! Tu n'as pas pensé à eux !

J'ai serré les dents. Sur le coup, ça m'a fait du mal. Pourtant, ses propos étaient injustes. Ce n'est pas moi qui vais détruire la Pak ! Ce n'est pas moi qui ai fraudé ! Je n'ai pas à porter la responsabilité des conséquences de leurs escroqueries.

— Habille-toi et cache bien ce tatouage, m'a-t-il ordonné. Nous allons au Burning Sun. Mais on règlera cette histoire en rentrant.



Quelques heures plus tard, nous étions de retour dans mes appartements. Je n'avais pas parlé de la soirée, et je m'étais abstenu de boire.

— Qu'est-ce que tu fais ? m'a demandé Gong, qui me voyait disparaitre dans ma chambre.

« Va te faire foutre ! », ai-je songé en mon for intérieur, en lui claquant la porte au nez.

— Minsuk ! Il faut qu'on parle tous les deux. Si tu ne dis rien...

J'étais en train de me déshabiller. Gong avait rouvert la porte, sur laquelle il n'y avait pas de verrou. Il me criait dessus et moi je l'ignorais. Il ne me faisait plus peur. Dans le fond, il n'avait aucune preuve contre moi. Je n'avais qu'à me taire, attendre que mon avocat fasse son travail, puis, quand viendrait le bon moment, je leur fausserai compagnie. Je n'étais pas inquiet. Je ne me rendais pas compte.

J'ai eu le temps de mettre un t-shirt propre, trop large, confortable pour dormir. J'allais quitter mon jean, lorsqu'ils ont frappé.

Il était plus de deux heures du matin. Qui venait nous rendre visite si tard ? Surpris, j'ai daigné regarder Gong : son expression m'a prouvé qu'il savait qu'on aurait de la visite. Aucun étonnement, seulement de l'effroi.

— Je te demande pardon, dit-il. J'étais obligé de leur dire.

Je ne comprenais rien. Le dire à qui ? X Park ?

Mon manager s'est dirigé vers l'entrée, alors je l'ai suivi dans le salon. Il a ouvert le loquet coulissant et ils sont entrés. Ce n'était pas X Park, mais l'un de ses amis.

J'ai aussitôt reconnu le propriétaire du nightgame : Han Jeongtaek. Il avait énormément de maquillage cette nuit-là, un teint de plâtre et des yeux artificiellement ronds, qu'il avait soulignés de khôl. Mais le plus étrange, c'étaient ses sourcils, entièrement épilés et peints à la main, qui formaient deux accents circonflexes.

Deux autres hommes l'accompagnaient. Ils portaient des complets noirs comme s'ils se rendaient à un enterrement. L'un d'eux était grand, avec des cheveux décolorés, l'autre, plutôt trapu avec un crâne chauve. Ce dernier a refermé la porte derrière lui, et s'est appuyé dessus. Ils me bloquaient l'issue.

C'est seulement là que j'ai compris pourquoi mon manager avait peur et pourquoi il m'avait demandé pardon.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant