50. Choisir les vivants (réécriture)

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Nous avons eu cours tout l'après-midi. Les mots des enseignants passaient au-dessus de moi sans m'atteindre, bruits de fond sans importance, incapables de transpercer le manteau de ouate qui m'entoure soudain. J'ai l'impression de baigner dans du coton, d'avoir les jambes fragiles et le cœur en verre. Je me sens faible comme si j'étais en hypoglycémie et, en même temps, forte à l'intérieur. Mon âme s'apaise, se détend, retrouve la sérénité qu'elle mérite. Tout se passe comme si j'étais une casserole d'eau que l'on retire du feu ; jusque-là mes pensées étaient en ébullition. J'avais toujours trop de choses en tête, en vrac : des angoisses, des plans, des stratégies, des objectifs, etc. Soudain, le bouillonnement cesse, je vais bien et je ne cogite sur rien, si ce n'est à lui et à ses yeux qui me regardent, à ses pensées qui tournent autour de moi. Cela éveille en moi la sensation la plus agréable, la plus désirable qui soit.

Dans ce nouvel état d'esprit, à dix-neuf heures, avant le cours de danse d'Ajeong, je vais sur le balcon. Je m'accoude quelques minutes sur la barrière de sécurité. La nuit est déjà tombée, je distingue à peine, à la lueur d'un lampadaire, l'escalier de service de l'immeuble contigu. Il parait proche, pourtant même en tendant les bras, mes doigts ne peuvent pas le toucher. Lorsqu'il me semble certain qu'aucune fille n'a envie de prendre l'air en ce moment, je m'accroupis et je tire de sa cachette ma boite en fer. Des gouttelettes d'eau condensée recouvrent le métal et trempent mes mains. Mon classeur se trouve toujours à l'intérieur. Je le soulève avec indifférence pour atteindre les sachets de préservatifs en dessous. J'en prends deux que je glisse dans la poche de mon pantalon. Ils retrouvent alors la place qu'ils occupaient habituellement, avant que je ne remarque que personne à l'agence ne s'affiche avec des capotes dans les poches. J'avais décidé de me montrer prudente et d'éviter de passer pour une fille de petite vertu.

Au moment où je positionne de nouveau ma boite sous le balcon, la porte coulissante de nos dortoirs s'agite dans un affreux couinement. Je me redresse brusquement, essuyant mes mains sur mon jean pour effacer les traces d'humidité.

Nanae se trouve en face de moi. Elle me fixe, ses yeux regardent à mes pieds, se demandant sur quoi je pouvais bien être accroupie. Heureusement, la boite a déjà disparu, les tiges qui la maintiennent sont invisibles. Nanae hausse les épaules, et reprend une bouchée de riz, dans un bol qu'elle vient de se préparer. Je me réjouis de voir qu'elle s'est décidée à manger des glucides avant d'aller en sport.

— Qu'est-ce que tu fais là ? demande-t-elle. Tu vas être en retard.

— Rien du tout.

— Tu fumes, c'est ça !

— Moi, non.

— Si ! Tu sais que ce n'est pas bien ! C'est mal vu un Idol qui fume.

Je n'essaie pas de nier davantage. De toute façon, quand on est Idol tout est mal vu. Il vaut mieux qu'elle me prenne pour une fumeuse que pour une dévergondée... ou une espionne. Je ne lui parlerai ni du classeur gris, ni des préservatifs. Quand je passe devant elle, elle demande :

— Fais-moi sentir ton haleine.

— Non, mais je rêve ! Tu te prends pour ma mère ?

J'obéis pourtant, trop contente de voir sa moue lorsqu'elle constate qu'elle fait fausse route.

— Ok. It's alright. Mais brossage de dents pour tout le monde.

Je passe aussitôt une main devant ma bouche, souffle et renifle mon haleine, ça sent le kimchi de mon dernier repas. Pas terrible, je dois l'admettre.

Dans les toilettes, j'en profite pour faire un raccord maquillage. Je commence à peine à prendre le coup de main. Nanae m'aide, ce soir. Elle trace un trait d'eye-liner sur ma paupière mobile, avec un doigté de professionnel. Elle ne fait aucun commentaire sur mon envie soudaine de me faire belle avant le cours de danse. Pourtant, je crois qu'elle devine quelque chose.

J'enfile un jogging taille basse, neuf, qui ne poche pas aux genoux et qui met assez bien en valeur mes fesses. Pour le haut, je porte une brassière qui couvre ma poitrine, mais pas le nombril, beaucoup de filles font ça ici. J'attache mes cheveux autrement. Pour changer de la queue de cheval, je natte mes longs cheveux blonds et frisés sur le côté gauche. Enfin, pour couvrir mes bras, j'ajoute au-dessus de l'ensemble un boléro fuchsia. Impossible de voir mes cicatrices, impossible de savoir que je suis différente des autres. Mon passé ne se devine pas sur mon visage. Rémi a raison, si je le veux vraiment, je peux arrêter de courir après les secrets du passé et ses brulures. Si je le souhaite, je peux choisir d'aller de l'avant, de rejoindre les vivants.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant