53. Qui ne cherche pas trouve (réécriture)

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Je me donne plus que d'habitude à l'entrainement. Impossible de faire autrement, je suis comme possédée, ne tenant plus en place et profitant de la musique pour ne plus entendre dans mes oreilles les feulements rauques de mon dernier rêve érotique. J'évacue le trop-plein d'excitation dans ma transpiration, jusqu'à tomber, épuisée à même le sol, incapable de bouger ne serait-ce qu'un cil avec vigueur.

En état de tachycardie avancée, je ferme les yeux, aussitôt j'aperçois des couleurs de peau, de lèvres, de cheveux noirs. Le désir me malmène et même l'épuisement physique ne l'assèche plus.

Alors que mes paupières sont toujours fermées, je le sens approcher. Je sais que c'est lui. J'ouvre les yeux : il me tend une main, que je tarde à saisir. Nous nous dévisageons d'abord, prenons le temps de savourer ce moment si particulier qui précède les premières fois. C'est une torture d'attendre de nous retrouver, en privé, tous les deux... et en même temps, cet état de frustration a quelque chose en lui-même qui ne manque pas de charme, tout comme la musique d'un générique d'ouverture.

Les yeux en amandes de Rémi le trahissent. Il partage le même sentiment. Il se penche davantage au-dessus de moi, me glisse à l'oreille :

— Ça te va bien, la tresse. Tu cherches à impressionner quelqu'un ?

Je ne réponds pas. Un sourire énigmatique scelle mes lèvres. Je me contente d'attraper sa main, il me tire et nous nous retrouvons debout, l'un en face de l'autre. Proches.

J'entends Nanae rire et Rémi s'éloigne brusquement de moi, en se raclant la gorge. A-t-il honte qu'on puisse nous voir ensemble ?

Comme pour me donner raison, il traverse la salle de danse et retourne auprès de ses amis masculins. Je voudrais qu'il se retourne, qu'il me regarde à nouveau. Ce qu'il ne fait pas.

Nanae pose une main sur mon épaule, ce qui me fait sursauter.

— C'est cool. Rémi Oppa est cool, minaude-t-elle en me faisant un clin d'œil.

Mon cœur qui se serre et je recouvre la main de Nanae de la mienne, puis nous échangeons un câlin qui me réconforte, comme si la gamine était une bouillotte ou un chocolat chaud. J'ai de la chance de l'avoir rencontrée.

Soudain, ma petite sœur de cœur s'écarte de moi, un peu comme Rémi avant elle. Elle semble surprise par l'arrivée de quelqu'un. Ajeong passe devant nous, avec une démarche précipitée. Je me retourne et je les vois.

C'est seulement là que je me rends compte que je n'ai pas pensé à eux une seule fois depuis que je suis arrivée dans le cours de danse, pas une seule fois je n'ai regardé vers la baie vitrée, pas une seule fois je n'ai guetté leur venue. Pourquoi est-ce que c'est toujours quand on n'attend plus quelqu'un qu'il frappe à la porte ?

X Park porte des lunettes de soleil et ouvre la marche. Il parade, exactement comme la dernière fois que je l'ai vu, le torse en avant. Derrière lui, le Sosie parait tellement plus transparent, plus effacé. On le croirait presque soumis à sa manière d'évoluer dans l'ombre du grand patron. Pourtant, je sais maintenant lequel des deux détient le pouvoir. X Park lècherait les bottes de ce type s'il le lui demandait.

Derrière les deux hommes, fermant la marche, le manager Gong trottine, gauche dans ses baskets, la tête basse, l'air fatigué. L'équipe au grand complet.

L'effet sur la salle est immédiat. Les élèves échangent des commérages et jettent des coups d'œil affolés vers les miroirs, pour vérifier qu'ils n'ont rien de travers. Ajeong accueille ses prestigieux invités, salutations obséquieuses de rigueur. Puis, elle claque dans les mains pour nous remettre tous et toutes au travail.

Je tente de me rapprocher, dans le but de saisir des conversations. X Park parle avec l'enseignante, fort, en éclatant de rire toutes les trois secondes, imité, avec moins de corps, par Ajeong.

Le Sosie, que je n'ose pas appeler Han même dans mon esprit, ne se calfeutre pas dans le coin, pas ce soir. Les bras croisés, il accompagne X Park dans ses déplacements, en pleine lumière. Son teint est si pâle que je suis surprise que la luminosité ne le décompose pas en cendres. Impossible de regarder le visage artificiel de cet homme sans entendre l'explosion d'une grenade et les cris d'un homme dont on crèverait les yeux.

Je suis loin d'être la seule à tendre l'oreille pour connaitre ce qu'il se dit du côté du grand patron. Tout le monde ne tarde pas à savoir que X Park est venu ici, ce soir, dans le seul but de choisir des jeunes pour l'accompagner à une soirée. On raconte qu'il y aura des personnes importantes : des producteurs, des artistes...

Les trainees sont surexcités. Ils rêvent tous d'entrer dans un carré VIP, de s'amuser, de danser et de boire, tout en espérant se faire remarquer par quelqu'un d'important. Moi, je comprends que la soirée de beuverie dont me parlait Minhok est enfin arrivée. Gong devrait être de la partie si j'en crois son attitude.

Le cours se poursuit un quart d'heure dans une atmosphère intenable. Jusqu'à ce qu'Ajeong nous impose la troisième position de bras et de jambes de maitre Beauchamp. Même quand on n'y connait rien en classique, la posture est familière. Les pieds bien plantés au sol, « en-dehors », les talons joints. La main gauche est posée sur la barre, bras tendu, tandis que la droite vient au-dessus de la tête, arrondi du bras, coude souple.

Je m'applique pour mon port de tête. Mon reflet dans le miroir me flatte, le maquillage que Nanae m'a fait souligne mes yeux bleus, réhausse mon teint fade, une réussite.

Le PDG marche, le long de nos silhouettes alignées. De temps en temps, sur une épaule de danseuse, il pose la main, comme une caresse furtive. Nous comprenons que les jeunes femmes touchées par lui auront le privilège de l'accompagner. Il ne perd pas de temps. En réalité, il ne risque pas de se tromper, toutes les filles trainees sont minces, gracieuses et savent danser. Ses doigts se posent sur l'épaule de Nanae. Un frisson me parcourt. Je croyais qu'elle serait trop jeune pour être choisie. Savoir qu'elle y sera me donne une raison supplémentaire d'espérer être choisie. Il lui faut sa Eonni pour veiller sur elle.

X Park arrive à mon niveau, le sentir si proche me met mal à l'aise. S'il n'y avait pas cette histoire de journal disparu, s'il n'y avait pas Nanae, je n'aurais aucune envie que cet homme pose sa main sur moi, aucune non plus de le rejoindre dans une boîte de nuit pour boire avec d'autres types comme lui. Mais puisque la situation est ce qu'elle est, je ferme les yeux et prie. Il doit poser sa main sur moi, je dois aller à cette soirée.

Mes yeux restent fermés et j'ai l'impression que le temps s'étire, cruellement. Il ne va pas me choisir. Il n'a pas de raison de le faire. Depuis qu'il m'a surprise derrière la porte de son bureau, il se méfie de moi, c'est sûr. Soudain, je sens une pression infime, mais suffisante, sur mon épaule gauche. Les doigts du dirigeant de la Pak viennent de m'effleurer. Je serai de la fête.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant