37. Une cachette (réécriture)

55 14 14
                                    


Je suis de retour dans les locaux de Pak Entertainment. Nanae se peint les ongles avec une application admirable. Je l'observe et elle ne remarque pas mon regard sur elle. Les dortoirs grouillent de trainees filles, occupées à étudier, parler et s'apprêter. Plus je les observe, plus j'ai l'impression d'être une intruse parmi elles. Moi, la seule Occidentale de la promotion. En cet instant, j'ai peur que cette différence extérieure finisse par révéler ma dissemblance intérieure. Ils vont finir par se rendre compte que je ne suis pas une trainee comme les autres, que j'ai des intentions divergentes. Honnêtement, suis-je la personne la mieux placée, la plus discrète, pour mener à bien ce type d'intervention ? Même si, soi-disant, je tiens mieux l'alcool.

Je pense tout le temps au journal intime de Minsuk. À lui et au manager Gong. Je me creuse les méninges à la recherche de la meilleure méthode pour lui faire avouer ce qu'il sait à propos de ce précieux trésor. Les différentes étapes indispensables à la réussite de mon plan se profilent de cette manière : il y a la boisson, il y a la séduction et il y a l'argumentation. C'est ce dernier point qui me cause le plus de soucis. Comment procéder pour convaincre Gong de me dévoiler l'un de ses secrets ? J'ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne trouve même pas l'introduction d'une conversation pouvant aboutir à des aveux. Je ne suis pas lieutenant de police. Je ne suis pas journaliste. Je ne suis pas faite pour tout ça.

Toute la journée, je me sens sous tension. Surtout le soir, pendant les répétitions de danse. Dès qu'un mouvement se fait sentir, je me retourne nerveusement vers les baies vitrées. Je laisse courir mon regard vers les longs corridors de l'étage, dans lesquels je m'attends à voir surgir le patron de la Pak et le Sosie. Je sais bien que Minhok m'a déconseillé de parler directement avec X Park... mais j'ai l'impression que mes chances seraient bonnes avec cet homme qui m'a déjà complimentée. Je l'entends encore dire dans mon oreille : « Toutes les femmes sont jolies comme vous, en France ? ». Avec lui, sans doute pourrais-je engager plus facilement une conversation plus intime... plus instructive. Minhok n'en saurait rien.

De toute manière, cela ne sert pas à grand-chose de ruminer sur le sujet, puisque ni X Park, ni son acolyte, ni même Gong n'ont de nouveau franchi les murs vitrés de notre salle de classe. Je reste en alerte, mon cœur bondissant à chaque arrivée. Inutilement. Car ils ne se présentent pas.

~

Je décide de tromper mon impatience et mon anxiété en concevant un moyen de mieux dissimuler mon classeur gris aux yeux curieux de mon entreprise et en particulier ceux de Mme Cho. J'y réfléchis toute la journée et, finalement, l'idée me vient dans l'instant qui sépare l'éveil de l'endormissement, en plein état hypnagogique. Dans mon semi-songe, je vois le balcon de la Pak, celui qui court tout le long de nos dortoirs. Je parcours l'ouvrage, non pas en marchant, mais en volant. Je flotte comme on nage, profitant de cette magie pour passer par-dessus la balustrade. Je plane un instant plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol, entre le balcon et le mur de l'immeuble adjacent. Je descends de quelques mètres afin de mieux voir le dessous du balcon, l'envers de la construction. Des lichens humides s'y agglutinent, dessinant des formes abstraites à la surface du béton. Je m'approche encore, l'ombre me rassérène, je me sens à l'abri, protégée. Surtout, je me sens parfaitement dissimulée.

Soudain, mes muscles se tendent et je me redresse tel un jouet à ressort. Le rêve prend fin et, heureusement, mes compagnes de chambres n'ont pas été alertées par mon réveil en sursaut ; toutes dorment encore paisiblement.

En silence, je me lève et me dirige vers la porte-fenêtre, toujours sur la pointe des pieds. J'entrebâille précautionneusement l'ouverture et la fais coulisser. Elle grince malgré moi et je serre les dents. Mon geste se suspend lorsque l'une de mes camarades se retourne dans son lit. Je me fige, comme si quelqu'un venait de crier « 1, 2, 3, soleil ! ». Je retiens ma respiration, guettant du coin de l'œil l'attitude de celle qui a bougé. Heureusement, ce n'était qu'un mouvement de dormeuse. Soulagée, je termine d'ouvrir la porte-fenêtre et me retrouve sur le balcon.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant