48. Les régimes (réécriture)

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Les garçons s'assoient en face de nous, Rémi choisit évidemment la place en face de la mienne. Je replie mes jambes sous ma chaise au moment où l'un de ses pieds effleure mes baskets. Ses iris ont une teinte ambrée, que je ne leur connais pas. Il a dû se mettre des lentilles de couleur. Je distingue d'ailleurs sur le blanc de son œil un cercle qui délimite les bords de l'artifice. Son ami, plus jeune qui lui. C'est un adorable garçon aux traits juvéniles et innocents. Je remarque qu'il toise Nanae, mais qu'il baisse les yeux face à moi. Un grand timide sûrement.

— Dis-nous Rémi, tu as fait quel vœu à la N Seoul Tower ? interroge Nanae.

— J'ai écrit que je voulais devenir « diet-man ». Un super héros dont le super pouvoir serait de manger tout ce qu'il désire sans jamais grossir. J'échangerais bien mon métabolisme ingrat contre celui de quelqu'un de maigre naturellement, comme Minsuk, par exemple, ou Nanae...

Rémi appuie son compliment d'un clin d'œil. Mon amie baisse les yeux et rosit légèrement. Elle dément :

— Je ne suis pas « diet-woman ». Je ne peux pas manger ce que je veux. Pour rester mince, je fais le même régime que IU.

— IU, vraiment ? s'exclame Junji.

— J'ai lu dans Korea Daily ce que mange IU et j'essaie de faire pareil, pendant une semaine ou deux, pour perdre du poids. Au petit déjeuner, je mange une pomme. Au déjeuner, je mange deux patates douces et le soir une boisson protéinée.

Mon regard va des patates douces à mon amie avec surprise et consternation. Tout à mes affaires, je n'avais rien remarqué de ce régime.

— Mais tu n'as pas besoin de faire de régime ! m'indigné-je.

— C'est gentil, minaude-t-elle, comme si je venais de lui faire un très joli compliment.

— Comment fais-tu pour ne pas craquer ? demande Junji. Quand je mange maigre, j'ai toujours très faim, surtout dans l'après-midi, et je mange n'importe quoi, tout ce qui me tombe sous la main. Comment tu fais pour tenir ?

Non, mais je n'y crois pas ! Il l'encourage, là ! J'ai envie de lui lancer mon assiette de petits pois au visage.

— Je découpe tout en petits morceaux, explique Nanae, puis je mange très très lentement, en mâchant beaucoup. Cela donne l'impression de faire un repas plus copieux. À la fin, j'ai presque l'impression d'avoir mangé six ou sept patates douces. Ensuite, si j'ai faim plus tard, je bois beaucoup d'eau et de thé.

Plus j'en entends, plus je me demande comment j'ai pu passer à côté de ses habitudes préoccupantes. Plus je la regarde, plus je trouve la minceur de Nanae inquiétante. Était-elle aussi maigre quand nous nous sommes rencontrées, il y a un mois ? Si ?

— Ce n'est pas la peine de faire ça, Nanae. Je suis sérieuse ! Tu n'as pas besoin de perdre du poids. Tu n'es pas grosse du tout. En plus, à ton âge, c'est dangereux pour la santé de faire un régime très strict. Ton corps est encore en pleine croissance.

— Il faut souffrir pour être belle, dit-elle en levant les épaules. Si IU le fait, je dois pouvoir le faire aussi. En plus, je veux mettre toutes les chances de mon côté. Si je montre que je suis capable de respecter un régime strict et de perdre du poids, la Pak aura davantage envie de me recruter. Ils nous pèsent chaque semaine, tu sais ? Et on gagne des points à chaque fois qu'on perd du poids.

En effet, nous montons sur la balance très régulièrement en tant que trainee. La dernière fois, j'ai même reçu quelques recommandations de la femme qui m'avait auscultée. Elle m'a conseillé de perdre un peu de poids, ce que j'ai délibérément ignoré. Mon IMC est sain et, tant que ce sera le cas, on ne me verra pas refaire la diète de sitôt. J'ai toujours respecté le carême dans mon enfance, et ces périodes étaient celles que je détestais le plus.

La détermination de Nanae à suivre un régime me prend au dépourvu. Je voudrais la convaincre et, d'instinct, je cherche le soutien de Rémi.

— Moi, dit-il, j'ai commencé à faire des régimes à l'âge de treize ans.

Voilà qui va beaucoup m'aider... Je lève les yeux au ciel, tandis que Nanae se tourne vers moi, tout sourire :

— Tu vois ! Plein de gens font des régimes à mon âge.

Peut-on faire avaler à quelqu'un ses lentilles de couleur ? Rémi ne mériterait pas mieux.

— Mais j'étais dans une situation différente de la tienne, ajoute-t-il, je n'avais pas le choix.

Le sourire de Nanae s'efface tout d'un coup. Finalement, je vais peut-être laisser à ce garçon une chance de conserver ses deux yeux intacts.

— Si je pouvais ne pas faire de régimes, je m'en passerais. Depuis, que j'ai commencé, je n'ai jamais pu arrêter. J'ai dû essayer tous les régimes qui existent. J'ai essayé toutes les tendances : l'hyperprotéiné, la chrononutrition et les régimes détox. Tout. Ça ne m'a jamais empêché de craquer et de reprendre du poids. Quand on est un ancien obèse, comme moi... le corps aime grossir. Si je me relâche, je prends du poids. Pas un peu, mais beaucoup. Tu as déjà pris cinq kilos en une semaine, Nanae ?

Elle confirme que non d'un mouvement de tête.

— Non, je m'en doutais. Pour un ancien obèse, rien n'est jamais gagné, je suis en guerre contre mon corps tout le temps. Mais, moi, c'est ma vie. Jeanne dit beaucoup de bêtises, mais... c'est vrai que les carences font des dégâts. Certains régimes me donnent envie de dormir toute la journée. L'année dernière, je suis allé trop loin, j'ai fait un régime trop sévère ; résultat, mon bras droit s'est cassé pendant que je faisais une pompe. C'était une fracture de stress. Tu as peut-être vu les photos de mon plâtre sur Insta ?

— Oui, oui je les ai vues. Mais IU ?

Rémi se met à rire.

— IU ne raconte pas tout dans ses interviews. Peut-être qu'elle se cache tous les soirs dans les toilettes pour manger des crèmes glacées...

— Ça sent le vécu, charrie Junji.

Rémi continue sans relever la pique.

— Peut-être qu'elle s'est évanouie six fois dans une journée, en cachant à tout le monde que c'était le cas. Peut-être qu'elle a déjà eu une fracture de stress. On ne dit jamais sur les réseaux sociaux qu'on est malade ou faible, ça fait partie du jeu.

Junji ne commente pas, mais comme tout à l'heure, tout son discours sent le vécu. Je devine combien vivre en permanence avec la peur de reprendre du poids l'accompagne dans son quotidien, à chaque fois qu'il mange, à chaque fois qu'il croise un miroir, à chaque fois qu'il choisit des fringues. Quand il poste un selfie sur son compte, il attend avec anxiété de savoir s'il sera complimenté sur sa ligne ou, au contraire, réprimandé parce qu'il a grossi. 

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant