81. Le mystérieux compte en banque (réécriture)

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Minhok est venu me chercher lui-même devant l'immeuble de la Pak. Il a insisté pour que j'essuie mes pieds avant de monter à bord de sa voiture, une Renault-Samsung blanche rutilante.

Depuis qu'il s'est mis en route, j'épie le compteur de vitesse ; nous sommes très régulièrement en excès. Minhok conduit vite, nerveusement. Je ne sais pas s'il s'agit d'une habitude ou s'il faut attribuer ça à son impatience. Un sentiment que nous partageons tous les deux, en ce moment.

— Pourquoi Minsuk est allé voir cet avocat, à votre avis ? M. Kim vous a dit quelque chose ?

— Rien. Il ne m'a rien dit. Il m'a dit qu'il l'avait vu, c'est tout.

— Vous êtes sûre qu'il ne vous a...

— ... J'ai insisté, qu'est-ce que vous croyez ! Il n'a rien voulu me dire au téléphone.

— Vous pensez que c'est pour des raisons d'argent ?

Je n'ai pas cessé d'y penser durant ma nuit blanche

Quand j'étais adolescente, je pensais que Minsuk était riche. Dans nos esprits, la célébrité appelle la richesse, et puisque la célébrité de Minsuk était indiscutable, j'en déduisais logiquement qu'il devait posséder un compte en banque digne de convoitise. J'ai longtemps cru que c'était le cas. D'autant plus que la K-pop a tout mis en œuvre pour renforcer mon a priori. Certains clips musicaux tournés par la Pak étaient tout à fait bling-bling. Superbes piscines, bruissements des bijoux en or, et tous les autres innombrables clichés de la réussite matérielle. Ils m'ont servi un grand spectacle, alors, moi, j'imaginais que mon idole ramassait les liasses de billets par centaines.

Mais qu'en était-il réellement ? Personne ne pouvait dire si le compte en banque de Song Minsuk égalait bien sa réputation. Les revenus de l'Extraterrestre étaient devenus un objet de mystère et de fantasme. Un secret que le jeune homme s'appliquait à bien garder, malgré tous ces journalistes parfois très intéressés par la question.

Je me souviens d'une interview radio en particulier ; le chroniqueur l'avait cuisiné : « Vous avez sorti six albums en un an et demi, c'est un sacré record. Vous avez écrit cette musique. Vous devez avoir un peu d'argent de côté maintenant. De quoi plaire à une femme. Combien ?

— Secret ! » avait répondu Minsuk.

Mais le chroniqueur s'était accroché :

« C'est moins ou plus que ce qu'on imagine ? Six albums !

— Mais en fait... seulement quelques-unes de mes compositions sont choisies dans les albums... Alors, en fait... Je suppose ... c'est moins que ce que vous imaginez, je pense...

— Ah bon, c'est moins de 20 000 wons ? »

Le rire de Minsuk avait résonné sur les ondes. Il s'était fait avoir par l'effet de surprise et l'absurdité de cette proposition ridicule : une vingtaine d'euros.

« C'est plus ! C'est plus que 20 000... En fait, je n'ai pas encore pu mettre beaucoup d'argent de côté. Avec ce que j'ai touché, j'ai voulu acheter un ordinateur portable. Je me suis dit que ça serait bien pour me mettre au travail. J'en avais besoin pour composer...

— ... Pour composer ? avait plaisanté le chroniqueur. N'est-ce pas plutôt pour jouer au nouveau FIFA ? »

Déjà, à l'époque, l'information m'avait semblé incohérente. Deux ans d'activité en tant qu'Idol reconnu, et le seul caprice consenti par le chanteur aurait été un ordinateur portable. Inconcevable.

Plus je repense aux maigres indices que je possède sur sa rémunération, plus je suis persuadée qu'il est allé voir l'avocat pour cette raison. Il gagnait trop peu d'argent par rapport à ce qu'il avait rapporté à la Pak.

— Vous savez si Minsuk gagnait beaucoup d'argent ? Est-ce que, vous aussi, vous pensez qu'ils lui ont menti ?

— Je n'en sais rien... De toute façon, nous allons bientôt le savoir, non ?

Je regarde Minhok directement, lui ne peut pas, ou ne veut pas ; il ne quitte pas la route des yeux. Je le sens qui accélère, tout ça pour pouvoir passer à l'orange.

— Mon frère ne gagnait presque rien, précise-t-il. La dernière fois que je lui en ai parlé, il prétendait qu'il toucherait bientôt son premier salaire. Mais il disait déjà ça des mois plus tôt. Ensuite, on n'a plus parlé du tout, de rien, alors, j'ai fini par penser qu'il avait touché le gros lot. Mais...

Il s'interrompt pour se concentrer sur la route. Il freine abruptement derrière une file de véhicules à l'arrêt, devant un carrefour. Dès qu'il redémarre, je le relance :

— Mais...

— Mais lorsqu'il est décédé, nous n'avons pas hérité de grand-chose. Je ne suis pas légataire, mais notre mère... elle m'a dit que ce qui lui avait payé le toit de la maison, c'était les recettes faites par la vente de l'album-hommage. La Pak a reversé tous les bénéfices de cette vente à notre famille, notre mère donc...

Il s'arrête de parler, le temps de s'engager dans un parking souterrain.

— J'aurais voulu qu'elle refuse cet argent. J'avais l'impression...

Notre voiture s'engage dans la première place vacante. Minhok serre le frein à main et termine sa phrase.

— ... que c'était pour nous acheter.

Il se retourne et descend. Je crie dans son dos :

— Vous acheter pour quoi ?

— Dépêchez-vous de descendre, Jeanne. Je ne voudrais pas que nous soyons en retard à ce rendez-vous.

Je m'exécute, un peu désappointée qu'il élude ma dernière question. Je claque la porte.

— Hé ! Doucement ! Vous... vous allez l'abimer. On vous a jamais appris à respecter les voitures. J'y tiens énormément.

Je m'excuse et nous nous éloignons vers la sortie. Minhok enclenche le système de fermeture de sa Renault à distance, une pression du pouce et les phares de la voiture clignent comme pour nous souhaiter un bon entretien. Tut tut.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant