9. Présage (réécriture)

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Une étrangère, une blonde, est venue et, avec ses mots insensés, a rouvert ma fêlure.

C'est triste de constater comme les croûtes de mes cicatrices sont fines, même après tout ce temps. Il suffit qu'on les gratte un peu et elles se mettent à saigner. Cette fille n'a pas idée de l'énergie qu'il m'a fallu pour aller mieux, du mal qu'elle peut causer en quelques mots. Je voudrais lui ouvrir la cage thoracique, lui vider une casserole d'huile bouillante sur le cœur, pour qu'elle comprenne ce que je ressens.

Je voudrais revenir un an en arrière, pour ne pas envoyer ce tweet. Mais quelle mouche m'a piqué ? Quel coup de folie ! Le Jack Daniel's a parlé pour moi. L'alcool croit toujours bon de donner son avis, sur à peu près n'importe quoi, à n'importe qui, tout le temps.

J'ai réagi très rapidement : j'ai supprimé le message des réseaux, mais il était déjà trop tard. Entre les mains de cette jeune étrangère, mes doutes sont devenus de terribles aveux. Elle ne me lâchera pas, je le sais. Elle a dans le regard une flamme qu'il est inutile de tenter de raisonner. Un truc que je n'arrive pas à me sortir de la tête depuis que je l'ai rencontrée. Tout comme ses mots, ses mots qui résonnent en moi, derrière ma fêlure, sur le point de me faire replonger dans mes délires.

« Minsuk ne s'est pas suicidé ! »

Pourquoi après tout ce temps, fallait-il qu'une étrangère vienne me dire ça ? Est-ce que c'est une punition ? Est-ce que c'est un présage ?

Hier soir, je n'ai pas réussi à m'endormir. Je me tournais et me retournais dans mon lit, en me remémorant un souvenir d'enfance.

Il existe une croyance répandue selon laquelle les frères jumeaux partageraient à distance des pensées et des sentiments. Minsuk et moi, nous avons appris, à l'âge de huit ans, l'histoire des jumeaux McWhirter. On raconte que lorsque l'un d'eux s'est fait assassiner, dans les rues de Londres, le second a été pris de convulsions proches de la crise cardiaque, chez lui, dans son salon.

Cette histoire nous fascinait. Nous avons eu envie de mettre à l'épreuve nos propres superpouvoirs télépathiques. Je me suis enfermé dans une pièce. Pendant ce temps, des copains de l'école et Minsuk sont allés dans une autre. Ils devaient le pincer très fort, et moi, je devais fermer les yeux, me concentrer pour déterminer où ils le pinceraient. J'ai ressenti une douleur dans le bras droit. Pas une petite chatouille, mais bien une douleur vive, comme une brûlure. Pourtant, quand j'ai rejoint les autres, que j'ai annoncé fièrement que Minsuk venait d'être pincé sur le bras droit. Aussitôt, ils se sont moqués de moi ; ils ne l'avaient pas touché du tout. J'avais tout imaginé. J'avais voulu ressentir quelque chose et donc je l'avais ressenti. C'était ça le pouvoir de l'esprit et de la suggestion.

La télépathie entre frères jumeaux, ça n'existe pas. Je dois m'en convaincre. Je dois arrêter de penser à ce jour-là : je n'ai pas eu de prémonition, pas eu de pressentiment. Sa mort s'est produite loin de moi et je n'ai rien ressenti. Jusqu'à ce qu'on dise à la télévision qu'il s'était jeté du haut d'un pont, jusqu'à ce qu'on me fasse venir au commissariat pour authentifier sa lettre de suicide.

Hier soir, j'ai renoncé à l'idée de trouver le sommeil. J'ai abandonné ma femme, Hyejin, dans notre lit et je suis allé dans la cuisine. En restant dans le noir, j'ai ouvert une bouteille. Je ne sais même pas quel alcool, ça n'avait aucune importance.

Je maudissais l'étrangère, la blonde, la jeune. C'était sa faute à elle si je me remettais à boire. Il fallait que je fasse taire sa voix.

— Minhok ?

C'était Hyejin. Elle a allumé la lumière de la cuisine. Mes yeux ont été attirés en direction de son ventre ; il devenait de plus en plus proéminent.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant