La Kangpae. Vraiment ? La Kangpae.
Plus je rassemble mes connaissances sur le sujet, plus je me dis que j'ai été trop naïve de penser que la Pak ne serait pas concernée.
Quand j'étais à la fac, j'avais lu beaucoup de documents sur le sujet. J'y avais appris que les premiers gangs coréens existaient déjà dès le XIXème siècle, collaborant à l'époque avec les colons Européens. À ce moment-là, la Kangpae regroupait surtout des membres nés dans des milieux défavorisés qui survivaient en se mettant au service de riches marchands sans scrupules. La mafia s'est ensuite fait un véritable nom, entre 1910 et 1945, pendant l'occupation japonaise. À l'époque, les yakuzas avaient migré en Corée pour y imposer leur loi, par la violence. Face à eux, certains Coréens s'étaient réunis et organisés, utilisant les mêmes méthodes que leurs opposants. On les considère encore aujourd'hui comme des figures de la résistance plus que comme des criminels. Kim Chwachin a été le plus célèbre de ses gangsters révolutionnaires. Il a grandi orphelin, puis a été mendiant, avant de devenir membre du « Poing coréen » et d'affronter, à la main, les yakuzas.
Après l'occupation et la guerre de Corée, la Kangpae est devenue plus organisée, plus puissante et surtout plus armée. Les gangsters se battaient aux couteaux, dans des bagarres de rue de plus en plus meurtrières et sanglantes. Si bien que dans les années 90, le gouvernement a pris la décision de faire une grande purge. Une nouvelle loi a été écrite dans le Code pénal et les Kangpaes ont été pourchassées et condamnées. La plupart des gangs ont fui, ont été arrêtés ou bien mis sous stricte surveillance.
Malgré la grande purge, la Kangpae n'a pas disparu, elle s'est juste faite plus discrète. Ce sont toujours des gangs qui encadrent la prostitution, le trafic de drogue et la contrebande. Le racket des petites entreprises se pratique encore. Enfin - et c'est bien ce qui m'inquiète le plus - des liens entre le monde du Entertainment et l'univers du grand banditisme sont avérés. Je sais même que des universitaires travaillaient sur le lien possible entre les yakuzas japonais, la Triade chinoise et la Kangpae pour expliquer le succès de la Hallyu en Asie.
Je me souviens aussi d'avoir lu un article sur le décès d'un parrain : Kim Taechon, en 2013. Il était écrit que ses funérailles avaient causé un immense rassemblement de gangsters, environ 500 délinquants, autour du Asan Medical Center, ici même, à Séoul. Le parrain Taechon avait fondé le Seobang, dont le territoire se trouvait à côté de Gwangju, avant de tenter de s'étendre jusqu'à Séoul. Mais il a été arrêté par les autorités et condamné à dix ans de prison, pour la deuxième fois, car il avait déjà été détenu pour meurtre. Il avait en effet commandité l'assassinat d'un patron de discothèque.
Si je repense souvent à l'article sur Taechon, c'est parce qu'il mentionnait ses liens avec le monde du Entertainment. En 2006, il avait même menacé l'acteur Kong Sangwoo, lui promettant de « transformer sa maison en bain de sang », tout cela parce qu'il n'avait pas tenu sa promesse de rencontrer ses fans, au Japon. Le bain de sang promis n'a heureusement pas eu lieu. Apparemment, les deux parties avaient trouvé un accord à l'amiable, ce qui ne me rassure pas vraiment.
Jusqu'à présent je me suis toujours réconforté en me disant que les mafias connues et puissantes prospéraient plutôt dans d'autres villes : Busan, Gwangju. Je ne pensais pas les trouver à Séoul, pas dans l'une des villes les plus sûres du monde, et surtout pas incrustées directement dans la structure hiérarchique de la Pak, si près de Minsuk.
Pour l'instant, je n'avais peur que de l'échec, de ne pas parvenir à découvrir la vérité. À présent, je ne sais plus quoi penser.
— Où étais-tu dimanche ?
Je sursaute. La question de Nanae m'a tiré de mes rêveries sans prévenir.
— J'ai visité un peu la ville, éludé-je.
L'adolescente a fini de découper sa nourriture et commence, à présent, à l'organiser joliment, en la poussant avec l'extrémité de ses couverts. Les rondelles délicates s'alignent sur des cercles concentriques et dessinent des rosaces pourpres. On jurerait voir les pétales d'une fleur de sang.
— Tu es allée où ?
Je réfléchis, embarrassée. Je dois inventer une excursion touristique crédible, un alibi parfait pour ne rien dire des évènements du Starbucks. Nanae n'est au courant de rien et je ne la mettrai jamais dans la confidence. C'est mieux ainsi.
— Je suis montée à la N Seoul Tower.
— Oh ! cool ! s'enthousiasme-t-elle. Je n'y suis pas allée depuis très longtemps. Il y a toujours les cadenas à messages, pour les amoureux ?
— Oui, dis-je en paraissant sûre de moi et en croisant les doigts pour que ce soit effectivement le cas.
Le mont Namsan est une colline arborée qui domine la ville de Séoul. Il existe un téléphérique pour se rendre dans ces hauteurs et profiter de la vue. Tout en haut, il y a la N Seoul Tower, une tour métallique rouge et blanche au sommet de laquelle trône un restaurant panoramique. Mais le mont n'est pas seulement un point de vue, c'est un parc pour les amoureux. Comme sur le Pont Neuf, des cadenas sont vendus pour être fixés aux nombreuses barrières qui bordent les allées à flan de colline, mais, contrairement à Paris, les cadenas ne sont ni en cuivre ni en étain, ils sont fabriqués en plastiques de couleur. Les formes varient : on a le choix entre le cœur ou le disque, la fleur ou la coque de portable. Au feutre noir, des inscriptions dans toutes les langues portent les messages d'amour des touristes. Les milliers de cadenas s'accumulent sur des centaines de mètres et bariolent le paysage verdoyant du parc.
Mais tout cela je ne l'ai vu que sur des photos. Depuis mon arrivée à Séoul, je n'ai pas fait beaucoup de tourisme, pas plus dans des musées qu'à la N Seoul Tower.
— En effet, je confirme, intervient une voix derrière nous. J'ai déposé le mien il y a quelque temps. J'ai fait un vœu, il parait que ça porte chance.
Nanae et moi-même nous retournons vers les nouveaux venus. Rémi et son ami, Junji, tiennent leur plateau-repas entre les tables de la cafétéria. L'Ulzzang porte une veste blanche et un t-shirt assorti, avec un col en V ; autour du cou, un collier de breloques attire mon regard.
— Vous permettez qu'on abuse de votre compagnie ?
J'ai envie de décliner poliment, mais Nanae ne m'en laisse pas le temps.
— Oui, oui ! Welcome !
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Pour Minsuk
Mystery / ThrillerQuand Jeanne, dix-huit ans, débarque à Séoul, elle traine une grosse valise rouge, un lourd passé et des montagnes de questions sans réponses. Le but de son voyage : prouver que l'idole de sa jeunesse, Minsuk, ne s'est pas suicidé quatre ans aupar...