49. Kila (réécriture)

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Dans les tristes réalités qui forment le côté obscur de la Hallyu, il y en a une que j'ai surnommée la maltraitance. J'y ai mis en vrac le manque de sommeil, les rythmes de travail infernaux et les châtiments corporels. Et puis il a ça : les régimes des Idols, systématiques et excessifs. Les chanteuses et les chanteurs de K-pop sont tous grands et maigres. Et gare à celui ou celle qui ne respecte pas cette injonction. Protégés par l'anonymat des réseaux sociaux, encouragés par les phénomènes de groupe, les fans peuvent se transformer en redoutables donneurs de leçon.

J'ai lu dans un magazine l'histoire d'une chanteuse qui avait subi un lynchage public à cause de son poids.

Kila n'avait que quinze ans, quand a commencé le cyberharcèlement. Elle appartenait à un girls-band et croulait sous des torrents de messages haineux.

Par centaines, on pouvait lire des commentaires du type :

« Elle est trop grosse pour être Idol ! »

« Elle ruine l'image du groupe »

« En plus de ne pas être talentueuse, elle est grosse »

« Un Idol doit faire rêver, mais elle, elle me dégoute »

« Elle mérite de quitter le groupe, si elle n'est pas capable de perdre du poids ! »

Ces insultes virtuelles n'ont pas tardé à déclencher des conséquences bien réelles sur la vie de la jeune fille. Kila s'est mise à la diète et, en attendant d'atteindre le poids qu'on attend d'elle, elle restait dans un coin, isolée et silencieuse, sans un rire, sans un sourire, dans un corps qu'elle aurait voulu jeter aux encombrants.

Puis c'est allé encore plus loin. Le harcèlement s'est étendu au-delà des réseaux sociaux. Dans les concerts, Kila n'était plus acclamée au même titre que ses camarades de scène. Un grand silence l'accueillait, chaque fois que c'était son tour de chant. Durant les séances de dédicaces, les fans passaient impitoyablement leur tour, refusant de s'assoir devant elle. Kila se retrouvait alors face à une chaise vide, sans admirateur, désavouée. Même lors des photographies que les fans prenaient avec le groupe, on lui demandait parfois de sortir du cadre, il ne fallait pas que sa laideur gâche les photos.

J'imagine Rémi, à la place de Kila. En dansant, son vêtement se soulève et dévoile son abdomen. À la ceinture, les chairs forment un léger bourrelet que je jugerais charmant, mais d'autres le huent, l'insultent. Le jeune homme arrête de danser, retient ses larmes et cache son ventre avec honte, en tirant sur sa chemise. Des cris obscènes le visent et l'atteignent. Je veux hurler aussi. Je me vois courir vers lui, mais ce n'est plus lui. Je tombe nez à nez avec Minsuk. Une larme coule sur sa joue, tandis qu'il fixe une foule hostile qui scande : « Dehors ! Dehors ! Va-t'en ! », et cette insulte : « espèce d'obsédé ! ».

— À quoi vous pensez ?

Rémi me pousse un peu du coude pour que j'avance. Deuxième fois que je suis tirée de mes pensées par quelqu'un ce midi. Le jeune trainee aussi attend son tour pour débarrasser son plateau. Or, je fixe la poubelle sans rien jeter, depuis plus de trente secondes.

— À quoi je...

Il se mets à côté de moi, jette les déchets qui se trouve sur mon plateau à ma place. Il se penche plus près de moi.

— Vous aviez l'air dans vos pensées. À qui est-ce que vous pensiez ?

Ma serviette en papier, qu'il a roulée en boule, rebondit sur les bords de la poubelle plusieurs fois avant d'atterrir à côté. Je tends le bras pour ramasser et Rémi saisit mon poignet entre son pouce et son index. Je frissonne, mais ne retire pas ma main. Mes yeux rencontrent les siens.

Pour MinsukOù les histoires vivent. Découvrez maintenant