Lettre I, de Monsieur au Chevalier de Lorraine

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« Ne pars pas. »

Ces trois mots ne parvenaient à traverser mes lèvres alors que je contemplais ton corps à la beauté stupéfiante s'enrouler dans les draps comme l'aurait fait un dieu grec, et un seul nom me venait quand je le contemplais. Apollon.

Ta beauté, ta stature, ta longue chevelure blonde, ce menton, bon sang ce menton à se damner. Et ces grands yeux bleus qui semblaient sonder votre âme. Parfois je me demande... si tu m'aimes vraiment. Même si tu me fais ces grandes déclarations, ces si douces caresses... Parfois je me demande... si tu ne fais pas tout ça par dessin. Et pourtant... je m'accroche, même si je sais que tu me tueras.

Terrible amant, je te soupçonne d'avoir couché avec ma femme et si tu le pouvais, tu mettrais même mon frère en ton lit si cela lui donnait plus de pouvoir ou d'argent. Tu aimes plus encore mon argent que moi-même. Je ne suis pas aveugle. Je suis seulement amoureux.

Déchiré. Le cœur au bord des lèvres je t'observe quitter ma couche et me désespère à l'idée que tu n'y reviennes. Je n'y peux rien, mon âme, mon cœur t'appartiennent. Les poètes que je finance écrivent d'incroyables choses à propos de l'amour, mais aucune n'atteint la force de ce que j'éprouve en cet instant en te voyant, l'air boudeur, t'emparer d'une grappe de raisin et en déchirer la chair comme tu as déchiré mon cœur.

C'est idiot. Ce qu'on fait par amour. C'est stupide. Puéril.

Je me targuais d'être intelligent, de caractère plus fort que mon frère, moins capricieux que mon épouse, je me targuais de ne pas laisser mon égo me berner, de ne pas laisser les flatteurs m'atteindre alors qu'en réalité, j'ai laissé le pire d'entre eux me toucher. Toi et tes terribles mots doux qui courbent mon âme, effleurent mon cœur.

Qui t'appartient.

Mes veines vibrent et flamboient en ton nom. Tes soupires provoquent des battements de cœur plus forts. Je me sens fragile quand tu n'es plus là, près de moi. Plus fragile encore quand tu t'attardes en ma couche, caresses ma chair dévêtue, laisses tes doigts caresser ces points sensibles de ma personne que tu connais par cœur. Je ne suis sien. Que je me défie ou pas. Je ne suis tien.

Je ne sais t'opposer la moindre résistance. Tes moindres caprices, je te les passe, tes crises que tu me fais quand tu désires ardemment quelque chose, souvent de l'argent, parfois une situation, quelques avantages, me sont insupportables. Et si je dois batailler avec femme, ministre et roi, je le fais sans me soucier une seule seconde des conséquences. Je suis rendu faible, fragile, petite chose de rien du tout entre tes doigts agiles, ta langue ingénue et tes baisers qui font tomber si promptement mes moindres résistances.

Je te laisse agir, je te laisse m'entrainer dans ces tavernes, dans ces orgies, dans ces complots, je te laisse me trainer dans la boue parce que je suis incapable de te raisonner, incapable de te maintenir captif comme tu le fais avec moi. Je suis tien avant d'être moi. Personne n'a eu une telle emprise sur moi. Pas même ma jalousie. Ni mon épouse que pourtant j'adore autant que je déteste. Pas dans le sens que tu crois. Ma jalousie n'est rien en comparaison de mon amour.

Je ne suis plus rien, je n'étais déjà pas grand-chose, l'ombre de mon frère, l'époux bafoué et jaloux, en vérité, j'ignore ce que tu as pu trouver attirant en moi, mon argent sans doute. Pourquoi ai-je ces pensées affreuses ? Pourquoi je doute, à chaque instant, de ton amour, de ta dévotion ? Par ton indolence, ton arrogance, ta nonchalance comme si rien n'avait d'importance, tu me fais douter de tout, de toi surtout. Tu ignores à quel point cela est douloureux.

Ne pas savoir. Quelles pensées te traversent. Si tu m'aimes, si toi aussi tu as l'impression que tout ton être se meurt quand je disparais, même l'ombre d'un instant ? Est-ce que tu frissonnes rien qu'en sentant mon parfum, qu'en sentant le bruissement du tissu à mon approche, le lit s'enfoncer sous mon poids ? Car ta simple présence, la caresse de ta voix, le velours de ta peau me font tomber en des états si intenses que je m'en crois mourant.

Pour toi, je trahis ma foi, ma pauvre mère s'en retournerait dans sa tombe, mon frère ne dit mot sur mes agissements mais je vois bien qu'il n'approuve tout cela, qu'il ne dit rien par amour pour moi ou parce que nous avions promis à Mère de ne plus nous déchirer. Tous en la Cour, ne disent mots devant nous, mais quand nous paraissons dans les appartements, moi fardé, couvert de bijoux, vêtu en femme à tes côtés, j'entends presque leur rire insupportable déchirer le peu d'amour propre que je possède.

Toi seul peut me protéger, en ces instants où mon âme entière tremble, âme que j'ai damnée pour toi, tu es alors mon bouclier, mon astre, mon amant, mon chevalier. Je sens ta force couler en moi, je sens ta présence devenir une arme forgée dans le plus ardent des brasiers, je me sens tout puissant, capable de tout à tes côtés. Mon amour pour toi me protège, me donne des ailes, répare mon cœur et mon âme abimée.

Si tu savais, comme tu m'es important. Vital.

Cette force-là, j'aimerais tant la capturer. Dans la chaleur des draps. Dans l'humidité de nos élans, de nos embrassades, de nos étreintes, dans la chaleur de nos baisers, la tendre brûlure de nos caresses. Mais à peine tu me quittes, qu'elle m'abandonne. Comme toi, tôt ou tard, elle finit par se lasser de moi.

Je crois bien qu'Athénaïs avait raison à mon sujet. J'aime plus que je ne suis aimé. Il n'y a qu'à te voir, ce prince insolent qui me défie, défie mon épouse, mon frère, nous défie tous.

Ma chère épouse, tu la rends folle. Cela m'as amusé, y'a quelques années de ça, quand j'ai compris. Qu'elle ne m'aimerait jamais. Pas comme elle l'aimait, lui, comme elle l'aime encore. A l'époque, j'en souffrais tant, mais elle a cessé de me blesser, aujourd'hui, elle m'indiffère, aujourd'hui je ne cherche que ton amour. Et pourtant, mon cœur souffre, comme par le passé elle m'a fait souffert.

Tu ne comprends pas, tu ne le peux, pas vrai ? Tu ignores tout du trouble qui m'agite, des pensées qui m'émeuvent, tu ignores la douleur qui m'ébranle et perfore mon âme. Pourtant, tu en es la seule cause. La seule et unique cause. Cette douleur profonde, cette terreur qui m'indispose, la seule pensée que tu puisses me quitter.

Ne m'abandonne, pas même une nuit, pas un instant, ni pour une aventure, ni pour une guerre encore moins pour un duché. Je te le demandes, refuse tout, y compris la mort et le mariage, reste auprès de moi, toujours.

J'aimerais t'attacher à ce lit, t'enrouler avec les draps et te garder captif, te savoir à jamais avec moi, te savoir incapable de t'enfuir, de me fuir. J'aimerais te garder à jamais auprès de moi jusqu'à ce que la mort vienne nous prendre. Nous serions seuls au monde, nous nous abreuverions l'un de l'autre, nous nous gouterions, nous perdrions, nous serions heureux, le crois-tu ?

J'aimerais tant y croire. Parfois quand tu te penche vers moi, délicat, séduisant, charmeur, et saisit mes lèvres avec les tiennes, m'embrasse longuement et me susurre des mots d'amour, j'y crois, j'y crois avec désespoir et envie, et puis, tu quitte mes draps, m'abandonne pour regagner la Cour et ses tumultes et je tremble alors, je tremble tant comme si nous étions en plein hiver et qu'aucun feu ne pouvait me réchauffer.

Chevalier de mon cœur, cesse de me faire tant souffrir. Je t'en supplie.

Le 1 janvier 1670, Paris.

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant