Lettre XCVI, de Monsieur au Roi.

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Mon frère, tu avais raison. L'amour au fond est une longue et inexorable guerre, elle comporte d'innombrables batailles que nous ne remportons pas toujours, mais il ne faut oublier qu'il s'agit d'une guerre et que son destin ne peut être joué en une seule bataille. Je l'avais oublié, en l'absence de mon aimé. J'avais oublié la rudesse de ces batailles, l'épreuve qu'elles constituent. Naïvement j'avais cru qu'une fois Henriette retirée de l'équation, tout irait pour le mieux. Mais c'était une conclusion hâtive et fausse.

Lui ai-je fait vivre l'enfer en l'accablant d'une faute qui n'était sienne ? Je n'avais compris ce qu'était l'amour et ce qu'il impliquait, pas plus que je n'avais saisi l'importance des nuances dans une vie de ménage à trois comme nous le pratiquons, toi et moi. Ce sont des erreurs faciles qu'on est tous voués à répéter, car personne ne vous instruit à ce sujet. Quand j'observe mes enfants, je voudrais les préserver de ces aléas, mais comme à la guerre, on s'aperçoit en fin de compte que la seule véritable leçon qui vaille est celle de l'échec. Cela est malheureux, mais vrai.

Lorsqu'on comprend cela et qu'on prend les mesures qui s'imposent, qu'on modifie son comportement comme ses attentes, alors la vie devient plus douce. C'est ce que j'espère.

Quand je vous vois, toi, la Reine, Athénaïs, votre bonheur me rappellent la passion qui m'a étreint au début, mais je vois aussi les heurts et les batailles qui résonnent encore. J'entends les mugissements de la jalousie de la Reine, la fierté parfois mal placée d'Athénaïs et tes faux pas que tu essaies de déguiser en décisions pleines d'assurance.

Nous sommes tous voués à nous tromper, à échouer, mais nous apprenons de nos erreurs et rectifions le tir. J'espère le faire, avec ma nouvelle épouse, nous en avons pris le chemin. Elle accepte de bon cœur la présence du Chevalier, elle s'amuse de son caractère et de ses traits d'esprit. En fin de compte, c'est lui qui m'a donné le plus de difficultés.

Il est jaloux de Châtillon, comme tu l'avais craint. Je me détache peu à peu de celui-ci, pour épargner mon ménage, pour être heureux, goûter à la paix en mon foyer, mais je ne veux le chasser trop promptement, d'une part car je ne veux encourager la jalousie chez mon favori, et d'autre part, car Châtillon s'est montré fort utile, fort plaisant, et qu'il serait cruel de lui laisser croire qu'il a commis une quelconque faute.

Mais quand nous irons en campagne, ce sera le Chevalier et moi, ensembles sur nos chevaux face à l'ennemi, attendant tes ordres et rien d'autre ne comptera que le rugissement de la bataille, le fracas de la guerre. Je suis bien aise de savoir que, pour quelques mois, il remplacera celui de l'amour. Madame est inquiète, naturellement, à l'idée que nous partions en guerre toi et moi. Mais nous avons des fils vaillants et Dieu a toujours veillé sur nous. J'ai à présent l'esprit clair, sûr de connaître enfin le bonheur et la paix.

Je dois te remercier, mon frère, de m'avoir rendu le Chevalier, de me permettre de prendre un commandement sur le champ de bataille, de m'accorder une nouvelle fois ta confiance. J'ai bien conscience que tu n'as jamais douté de moi et qu'en d'autres contrées, on aurait mal jugé le choix de mon cœur. Tu as peut-être douté du Chevalier, mais ce n'est plus le cas et c'est tout ce qui compte. Que nous soyons heureux, enfin.

12 avril 1672, Saint Cloud.


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