Lettre VI, du Chevalier à Monsieur.

27 3 0
                                    


Mon cher et tendre, je vais bien, rassure-toi.

Aussi bien qu'on puisse l'être lorsqu'on est arrêté et emmené en une forteresse mais je dois l'admettre, l'on est très bien traité lorsqu'on est bien né en ces lieux. J'ai du papier, de quoi te lire et t'écrire. J'ai même un serviteur et de quoi me chauffer. Je ne suis certes pas le premier ni le dernier à finir derrière les barreaux pour avoir irrité ton frère mais je ne m'attendais pas à une telle réplique.

C'est qu'il est susceptible, dis donc !

Figure toi que ce n'est nullement à cause de dettes de jeu que je suis ici, ni même pour avoir pris la virginité de quelques princes qui n'auraient assumé par la suite d'avoir été à nos côtés, non, tout ceci est dû à ce que je t'ai dit au sujet d'Henriette. C'est bien son voyage si secret en Angleterre qui est la cause de cette arrestation !

Je soupçonne ta chère épouse d'avoir supplié Louis de m'éloigner d'elle et donc de toi pendant des mois et à présent que je menace ce voyage en Angleterre par mes révélations, je récolte la punition qu'ont tous ceux qui défrisent ton frère.

Ne sois effrayé par mes mots, ton frère m'a envoyé ici, que pourrait-il me faire de pire ?

Je sens d'ici ta frayeur, ton cœur battant, tes lèvres tremblantes d'effroi, tes yeux s'humidifiant, j'aimerais tant te consoler, sécher ces larmes du bout de ma langue mais je ne le peux. J'ai en revanche le papier et ma plume. Mon doux prince, n'aie de craintes, je suis persuadé que ton frère me renverra auprès de toi dans moins de trois mois.

D'ici là, ton épouse aura fait son voyage et tout sera oublié, il en va toujours ainsi. Je ne me fais pas de soucis. Je te l'assures. Tout ce qui l'angoisse c'est que je puisse te pousser à gêner ce voyage, rien de plus. Tu connais ton frère. Il n'aime qu'on se mette en travers de son chemin et qu'on dérange ses plans. J'ignores ce qu'ils sont d'ailleurs.

Mais toi, je te connais très bien, tu ne laisseras ton frère m'oublier encore moins me laissera croupir en prison. Je sais que tu veilleras sur moi, et argumentera contre ton épouse, et qu'en fin de compte, ton frère finira par t'accorder mon retour. Il ne supporterait pas que tu t'enfuis en un pays voisin comme l'a suggéré Athénaïs. D'ailleurs, ce serait ridicule d'en faire autant. Tu devrais plutôt quitter la Cour, aller à un château que tu possèdes où il ne pourra te forcer à revenir. De là, demande lui de t'accorder mon retour.

Naturellement, il faudra que tu emportes avec toi Henriette. Elle ne pourra faire autrement que te suivre, tant en va ses devoirs conjugaux et elle n'est pas assez rebelle en définitive pour refuser de t'obéir. Tu pourrais même menacer directement le projet de voyage en Angleterre. Connaissant Henriette, cela lui brisera le cœur de ne pas voir son frère. Si j'ai été arrêté pour t'avoir révélé cela c'est que le voyage a son importance. Cela mériterait sans doute que tu t'y attardes et poses des questions.

Mon amour, je sais que tu détestes tout cela : devoir t'opposer à ton frère, devoir le menacer, agir ainsi, comme ton oncle l'a fait, c'est contre ta nature si douce et délicate. Je t'ai toujours dit que tu étais trop tendre pour ce monde. Mais il faut que tu le fasses, c'est la seule manière pour obtenir quelque chose en ce monde. N'en as-tu pas assez de te faire marcher dessus par ton épouse et ton frère ?

Tu es fort Philippe, bien plus que tu ne le crois. Tu dis que c'est moi qui te donne ta force, mais tu es aveugle à tes propres qualités. Tu es quelqu'un de raisonnable, capable de contenir tes émotions, cela te donne un net avantage sur moi, ton épouse et même ton frère. Je te l'assure, tu as plus de force que nous tous réuni. Tu n'as jamais eu besoin d'écraser les autres pour t'épanouir, pour montrer la force dont tu irradies. C'est cela ta force, n'avoir besoin ni de violence ni de méchanceté.

Si seulement tu te voyais comme je te vois. Mon éclat de lune, mon étoile. Tu sais ce que je t'ai toujours dit, si ton frère est le soleil et règne durant la journée, tu es une étoile, la lune, et règne sur la nuit, règne sur les ombres et sur mon cœur.

N'aie crainte mon amour, suis mes instructions et je serais de retour à tes côtés avant même que tu n'aies eu le temps de sécher tes larmes. Ferme les yeux, songe à mes mains sur ton visage, à mes lèvres sur les tiennes, à ma main glissant le long de ta nuque, le long de son passage sur tes joues elle a déjà séché tes larmes, à présent elle s'insinue dans ta chemise, en écarte le tissus, sens ma paume caressante contre ton torse, contre ton cœur, sens ma chaleur contre la tienne.

C'est comme si j'étais à tes côtés, je ne suis pas si loin, je suis dans tes pensées, dans tes rêves, humides j'espère, et dans ton cœur. Ne l'oublie jamais, je suis toujours là près de toi. Cette force, elle ne t'abandonnera jamais, pas plus que moi. Je te le promets.

31 janvier 1670, Château de Pierre Scize


A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant