Lettre LVII, du Roi d'Angleterre à Monsieur.

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Monsieur,

Je n'ai répondu à vos nombreux courriers pour la bonne et simple raison que je ne voulais vous parler. Je vais être direct et sincère, ma sœur n'a guère eu de mots aimables à votre sujet. Peut-être au début de votre mariage, mais au fil du temps, cette union s'est avérée pour elle pénible à supporter et plus le temps s'écoulait, moins elle sentait votre soutien, plus elle se sentait harcelée par votre favoris et ses amis.

Je n'ai à juger vos mœurs et votre manière de gérer votre vie, mais en tant que frère, il m'était difficile de lire ces lettres où elle me partageait ses douleurs quotidiennes sans ressentir de la colère à votre encontre. Ce n'était pas à moi d'intervenir, je ne vous en ai jamais parlé. J'ai préféré garder le silence, au contraire, et vous priver du droit de me rendre visite. Aussi parce que je souhaitais qu'Henriette voie l'Angleterre comme un refuge si elle voulait s'éloigner de vous et de ce mariage.

Ma sœur n'a jamais profité de mon offre d'accueil. Plusieurs fois je l'ai sentie proche de la rupture, toute prête à faire ses bagages et s'enfuir en Angleterre. Elle jurait que si elle quittait la France, elle n'y reviendrait plus jamais. Elle avait tant de colère envers vous et la Cour qui ne la soutenaient pas assez. Je me doute bien que l'amertume guidait ses mots et qu'avec moi elle exagérait les traits.

Néanmoins, sur le moment, je vous ai cru coupable de quelques gestes motivés par la colère ou pires encore, par votre favori qui m'a toujours été dépeint comme un homme vil, jaloux et possessif, prêt à toutes les bassesses pour garder la mainmise sur votre personne. De l'autre côté, je recevais mille et un portraits faisant de vous un homme faible, influençable, ni fiable, ni loyal, je pensais que vous étiez perdu et ne seriez d'aucune aide à ma sœur.

Mais je me suis trompé, et cela je le reconnais bien volontiers.

J'ai lu vos lettres, pas uniquement celle que vous m'avez envoyée à sa mort, mais également les précédentes que j'avais enfermées dans un coffre sans jamais les ouvrir encore moins les parcourir. J'ai aussi écouté ce que disait votre frère et je dois reconnaître m'être trompé. Vous n'êtes pas un lâche, seulement quelqu'un qui préfère la paix aux conflits. Vous avez été déchiré entre votre femme et votre Chevalier. Si en tant que frère je peux vous faire mille reproches de n'avoir soutenu Henriette, je dois reconnaître que je comprends parfaitement en tant qu'homme ce que vous avez pu vivre.

Politiquement, j'ai vécu des situations assez comparables et j'avoue ne pas avoir la force de caractère de votre frère ou encore de Guillaume d'Orange. Je les envie. Il doit en être de même pour vous, j'imagine. Cela doit être difficile d'avoir un frère avec tant de volonté quand soi-même on aspire qu'à la tranquillité, la douceur de vivre, mais que rien dans notre situation et naissance ne nous le permet.

Quoi qu'il en soit, je vous fais mes excuses pour les accusations portées et le silence froid que je vous ai imposé. Je serai toujours du parti de ma sœur, et son absence m'est douloureuse, tant que je conserverai, je crois encore quelque temps, rancœur envers vous, mais comprenez que c'est un sentiment fraternel qui m'étreint, et que le Roi que je suis voit quel genre d'homme vous êtes et que vous n'êtes nullement une menace ou un danger d'aucune sorte. Je sais désormais que je peux trouver en vous un confident, et j'ose espérer, un ami.

Bien que cela prendra du temps, je tenais à vous partager mon état d'esprit et vous encourager à continuer cette correspondance.

6 aout 1670, Londres

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