Lettre LXXII, de la Grande Mademoiselle à Monsieur.

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Mon cousin... je ne sais que dire pour excuser ma conduite. Quand le Roi m'a invitée, il ne m'avait pas dit que vous seriez là. Naïvement j'ai cru pouvoir vous parler sincèrement, je pensais que vous me compreniez, que vous étiez de mon côté, vous qui avez toujours goûté à la liberté, qui vivez comme vous l'entendez et n'avez jamais tenté de vous conformer à la norme.

Mon cousin, quand je vous vois arpenter les appartements en robe, plus étincelant que ne le sont la plupart des courtisanes, plus belle que je ne le serai jamais, je ressens la morsure de la jalousie. Vous avez hérité de ce goût que nous avons dans la famille pour les excentricités et l'originalité, le besoin de ne pas faire comme les autres. Et votre frère vous laisse cette liberté-là que mon père m'avait laissée, que j'ai goûtée pendant des années. Je ne me suis marié, j'ai combattu durant la fronde comme l'aurait fait n'importe quel homme et je voudrais conserver cette liberté qui a toujours été la mienne.

Je dois avouer que j'espérais encore une fois votre soutien. Mais je me suis trompée. Ne voyez aucune amertume dans mes mots, car en réalité, je n'ai songé qu'à moi-même. Me reposant sur notre amitié et les confidences que vous m'aviez faites, j'ai fait de vous mon allié et vous aie demandé de vous opposer à votre frère. Quand les choses sont devenues compliquées, j'ai continué sur mon chemin sans me soucier de vous écraser les pieds au passage. Et je m'en excuse.

Vous devez croire que je suis la pire amie qui soit, après tout ce que vous m'aviez dit, tout ce que vous m'aviez confié sur votre mariage avec Henriette et les souffrances qu'il a engendré. Je savais pourtant que vous aviez vécu chacun de ses éclats, comme des humiliations. La manière dont je me suis comportée durant cette confrontation a dû vous rappeler ces souffrances-là. Et je m'en excuse.

C'est mon caractère qui n'offre nulle compassion, comme lorsque vous n'étiez que des enfants et que je vous tirais dessus au canon ! Je n'avais en tête qu'aux combats que nous menions avec la Fronde, j'étais galvanisée par la foule parisienne et j'écoutais les mauvaises personnes. Je suivais aveuglément mon père et mes oncles que je me figurais comme des êtres glorieux sans me rendre compte que j'étais en train de terroriser mes deux petits cousins, mes deux adorables cousins.

Mes mots ne suffiront et mes excuses vous paraitront fades, j'en ai conscience. Je ne peux obtenir votre pardon avec une seule lettre. Cela prendra du temps. En attendant que je parvienne à regagner votre confiance ne vous demande qu'une seule chose : vous avez toujours eu une si bonne âme, si douce, ne laissez pas nos comportements égoïstes changer votre nature profonde, ne laissez pas l'amertume et la rancœur teinter votre coeur.

Et s'il vous reste encore un peu de bonté, accordez-moi votre pardon.

14 janvier 1671, Lyon.

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