Lettre LXXX, de Madame à Monsieur.

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Monsieur mon époux ou dois-je vous appeler simplement Monsieur ? Nous sommes désormais mariés. Je vous avoue que cela me perturbe grandement que nous n'ayons été ensemble à la cérémonie à l'Église. Quelle idée des plus incongrues de procéder à distance avec des représentants de chaque côté ! Cela renforce l'impression que le mariage n'est qu'un contrat qu'on passe et nullement une histoire romantique. Comme il est triste de s'en apercevoir. Lorsqu'on est enfant, on songe avec toute l'innocence du monde que nos parents s'aiment et sont heureux, mais en grandissant on se rend compte que le mariage n'a rien à voir avec le bonheur ou l'amour.

Pourtant, ma mère a aimé mon père, je le sais, je le voyais dans son regard, mais mon père n'a jamais aimé ma mère ou il l'a vite oubliée. J'ai cru comprendre que vos parents non plus n'ont pas été très heureux ensemble. Croyez-vous que ce soit le sort de la plupart des époux ? Qu'une pareille chose nous attende ? Ne pensez-vous pas qu'un homme et une femme prévenus d'un tel danger pourraient l'éviter ?

Vous m'avez parlé de vos amants et de votre favori sans trop vous étendre dessus et je peux comprendre votre pudeur, cependant je dois vous expliquer mes craintes. Je ne supporterais pas que vous me fassiez des petits bâtards et plus encore, que comme votre frère vous les reconnaissiez. Je ne vous demande pas de m'aimer, je suis loin d'être sotte et sais que l'amour ne s'obtient ainsi, je ne vous demande seulement de me respecter. Si vous préférez la compagnie des hommes, ce qui me paraît pour le moins étrange, je l'accepterais si toutefois ces hommes me témoignent le respect qu'ils me doivent.

Pensez-vous que cela serait possible ? Je ne veux être une de ces épouses aigries qui ne songent qu'à se venger des mauvais tours que leurs maris leur jouent. Et puisque vous avez voulu que nous conversions en toute franchise, ne pouvons-nous pas tisser dès maintenant un accord entre nous définissant très précisément comment notre mariage sera ? Comment nous serons l'un envers l'autre ?

Je ne veux m'imposer ni être tyrannique. Je voudrais être une belle-mère présente pour vos enfants, que nous vivions tous en harmonie et qu'à défaut de s'aimer, que nous partagions au moins du respect, un peu de tendresse et d'amitié. Cela me plairait assez que nous puissions même être heureux ensemble.

Suis-je trop naïve ? Trop innocente ? Dites-le-moi. Je ne connais encore tous les usages de la Cour, je n'ai vu qu'un seul mariage, celui de mes parents et ce ne fut le meilleur des exemples qui soit. Tout ce que je désire c'est ne pas subir ce que ma mère a subi. Je voudrais ne pas être trop malheureuse et vos lettres, vos mots, vos propositions m'ont laissée entendre que cela serait possible. Alors j'y songe, j'y rêve, je l'espère.

Votre épouse,

17 novembre 1671, Royaume de Bohème

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant