Lettre XXXIV, du Chevalier à Monsieur.

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Pourquoi diable n'y ai-je songé ? Supplier ton frère, voici la solution à tous nos soucis ! J'ironise et je suis un peu cruel en le faisant, je te vois bien ton cœur rempli de joie et d'espoir, persuadé que ton frère ne trahira sa promesse. J'aimerais être transporté par la même joie et les mêmes espoirs que toi. Mais tant qu'Henriette continuera d'éblouir le cœur de ton frère je crains qu'il ne nous reste que peu de place à toi et moi. Traite-moi de cynique, je sais bien que je le suis, un peu.

J'ai le plus grand mal à croire aux promesses de ton frère quand Marie, que tu critiques injustement, m'a raconté toutes celles que ton frère lui avait faites. D'amour, de mariage et d'éternité. Oh, je sais bien, il était jeune alors, mais a-t-il vraiment changé ? Me libéra-t-il vraiment de cet exil ? Ou l'a-t-il dit uniquement pour t'apaiser et t'empêcher de faire un nouvel esclandre à la Cour ?

Je ne veux creuser un peu plus le fossé entre ton frère et toi, mais tu sais ce que je pense de tout cela, ton frère te maltraite depuis des années et tu le laisses faire, il t'a forcé à ce mariage qui te rend malheureux, traite mieux ton épouse que toi. Il l'écoute et la plaint, il m'a même exilé pour lui plaire. Peu importe ce qu'il pourra te dire. Je ne l'ai jamais trahi, je n'ai jamais fait quoi que ce soit qui puisse lui déplaire, lui nuire si ce n'est d'être le seul qui véritablement te soutienne contre ton épouse, essaie de t'ouvrir les yeux sur son comportement.

Ton frère prétend t'aimer pourtant il semble se moquer de ton bonheur sinon il agirait autrement. Il s'excuse, mais j'estime qu'il devrait agir de telle sorte qu'il n'ait besoin de s'excuser. Il te doit bien cela, toi qui n'as que tendresse et loyauté à son égard, qui le défends toujours, qui n'as jamais pensé le moindre mal de lui, n'as jamais dit le moindre mot de travers à son sujet alors que tu as eu tant de raisons de le faire.

Mon amour, j'aimerais me réjouir avec toi, mais je ne le puis. Toutefois, car je ne veux pas être la cause de souffrance et de douleur, je ferai ce que tu m'as demandé, je lui enverrai mes plus plates excuses et des promesses qui seront pareilles aux siennes. S'il me rend à toi, mon amour, je serai le plus loyal des sujets, son espion s'il le souhaite, son bras armé, je le défendrai envers et contre tous, plus jamais je ne le critiquerai auprès de toi ni de quiconque. Toutefois, s'il trahit sa promesse, alors pardonne-moi, mon amour, mais je n'aurai plus la même indulgence à son égard.

Quant à ton épouse, je ne sais si je lui souhaite de s'en remettre, et je pense que cette bile qui la torture, cette humeur acide qui lui remonte dans la poitrine n'est que la conséquence de son comportement. A force de nous détester, de chercher à nous nuire, à nous rendre malheureux c'est elle qu'elle atteint, fait souffrir, empoisonne. Mais à ton habitude, d'être bon, profondément bon, tu t'occuperas bien d'elle, je n'en doute point, et dans quelques jours elle sera parfaitement remise, oubliant dès lors toutes ses promesses d'être plus douce avec toi.

Je t'aime, mon prince naïf.

27 juin 1670, Verone.


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