Lettre XCV, de Monsieur au Chevalier.

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C'est de Châtillon dont tu es jaloux ? C'est la chose la plus ridicule que je n'ai jamais entendue ! Châtillon n'est qu'un passe-temps, qu'un mignon, et même s'il n'a été approuvé par toi ni éduqué par Effiat, il n'en demeure pas moins un charmant jeune homme qui m'a aidé à supporter ton absence. Cela je le reconnais. Mais en aucun cas il ne t'a remplacé en mon cœur. Ne comprends-tu donc pas que personne ne pourrait faire cela ?

Comment dois-je faire pour que tu réalises que je n'aime que toi ? S'il m'arrive de m'amuser dans les bras d'autres et j'avoue l'avoir souvent fait pour te punir de me délaisser, je te reviens toujours. C'est pour toi que j'ai affronté le Roi, que j'ai supporté les humiliations constantes d'Henriette et que j'ai passé de longues heures à expliquer à ma nouvelle épouse à quel point tu m'es important. Figure-toi qu'elle a même été jusqu'à supplier Louis de te faire revenir.

D'ailleurs, je crois bien qu'elle est la cause de ce miracle !

Pour une fois, nous avons une chance d'être heureux. Mon épouse t'accepte, elle t'a même appelé de ses vœux, mon frère a promis de ne plus jamais t'éloigner de moi et toute la Cour s'enthousiasme à ton retour ! C'est comme si rien ne s'était passé ! Henriette n'est plus pour nous tenir éloigner l'un de l'autre, nous faire culpabiliser de notre bonheur, nous pousser à la redouter. Nous pouvons être heureux, Philippe. N'en as-tu pas envie ?

Le bonheur fait peur, je le sais, par sa simplicité, son évidence, il n'en paraît que plus fragile, que plus éphémère. Ce qui s'ensuit n'en paraît que plus terrible. Les souffrances, les déchirements... Si bien qu'on en vient à le redouter, à le tenir éloigner de soi, alors qu'il faudrait le chérir et le garder aussi longtemps qu'on le peut, l'embrasser à chacun de ses retours, l'épouser comme s'il était la chose la plus belle qui soit.

Je suis désolé si je t'ai blessé par mon attitude, ce n'était nullement mon intention. Châtillon m'a tant soutenu ces dernières semaines qui étaient éprouvantes. Je ne savais alors que Liselotte avait encouragé ton retour, je craignais que mon frère change d'avis, qu'un nouveau drame survienne, j'étais si anxieux que je n'en dormais plus. Châtillon m'a tenu la main, consolé, arraché les doutes et peurs de mon esprit. Il a été là pour moi quand, hélas, tu ne pouvais l'être. Ce n'était que par gratitude que je l'ai embrassé ce soir-là. Et je suis désolé de ne t'avoir parlé de lui. Je l'aurais fait s'il avait vraiment compté, je te l'assure.

Ne m'abandonne pas sitôt que je t'ai retrouvé, je t'en supplie, c'est par trop cruel. J'ai fait une erreur et je m'en excuse, mais n'avait-on pas décidé de s'accorder pleinement notre confiance ? De cesser ces crises de jalousie exténuantes ? Je t'aime, ne te l'ai-je point prouvé encore et encore ? Assez pour que tu n'aies plus à redouter quoi que ce soit de ma part. Reste avec moi, je t'en supplie.

Tu as raison, nous avons trop bataillé pour que je puisse renoncer à toi, cela me serait insupportable. Tu parles d'amour, pourtant, as-tu oublié qu'il se construit autant qu'il s'attrape ? Qu'aimer le premier venu est facile, mais éphémère, si fade en comparaison d'une relation qui grandit et s'épanouit. Je te veux à mes côtés, et ce, jusqu'à ce que la mort nous sépare. Je te l'ai dit, non ? Si je le pouvais, je t'aurais épousé. Et je refuses qu'une simple crise de jalousie nous éloigne, nous venons tout juste de nous retrouver !

7 mars 1672, Saint Cloud.

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant