Lettre XLVII, du Monsieur au Chevalier.

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Mon beau Chevalier, mon tendre amour, je t'en supplie, dis-moi que tout ce que j'entends de si affreux n'est que mensonge. Dis-moi que ce ne sont que de méchantes rumeurs diffusées par de méchantes personnes, qu'il n'y a rien de plus faux que cette histoire de poison traversant l'Italie puis la France à travers tes amis, que ce n'est que folie de croire une seule seconde qu'ils puissent avoir raison, qu'ils se trompent, qu'ils médisent, qu'ils s'abusent, qu'ils m'abusent.

Je t'en supplie, pardonne-moi de prêter l'oreille à ces sornettes, à ces terribles mensonges qui te tiennent éloigné de moi.

Mon frère m'a pourtant conté le résultat de l'autopsie, m'a rassuré en me disant que certes les viscères de mon épouse sont tout noirs, mais dénués de la moindre trace d'un quelconque poison. À ce qu'en disent les médecins, de telles lésions peuvent être imputables à un ulcère. Mon épouse se plaignait souvent de point de côté et de terribles douleurs en son ventre, tout ceci en serait donc la conséquence d'un terrible mal qui la rongeait.

C'est l'évidence même.

Pourtant je ne cesse d'entendre ces terribles racontars qui courent en tout sens et que tous se partagent. Même nos amis les plus fidèles en viennent à se questionner ! Et moi ? Moi qui t'aime tant, qui n'ai que les plus tendres et douces pensées à ton égard, qui suis torturé par ton absence, même moi, j'en viens à douter de ton innocence pourtant évidente.

Je ne suis qu'un imbécile qui a besoin d'être rassuré. Je peux mesurer l'agacement que tu auras en lisant ces lignes en constatant que même moi je te trahis en prêtant l'oreille à de pareilles ignominies. J'ai grande honte de t'écrire ces mots. Cela me donne la sensation d'avoir bafoué toute notre histoire, de rouler mes sentiments dans la boue, de nier toute la beauté de notre histoire.

Mon tendre, mon cher, mon unique, quoique j'en dise, quoique j'en pense, tu es à leurs yeux, le coupable idéal. Et ils évoquent tant et tant de raisons à ce geste perfide que j'en vins à un tel sacrilège en osant te demander de me jurer ton innocence. Pourtant, tu ne me dois rien. C'est à moi de lutter contre tous pour prouver que tu n'es pas l'homme qu'ils prétendent, que jamais, oh, grand jamais tu n'aurais pu faire cela. Mais je suis faible, si terriblement faible. J'ai besoin que tu me donnes des forces.

Si tu étais là, tu l'aurais déjà fait. De ta voix posée et forte à la fois, de tes caresses, de tes baisers, tu aurais flatté ma raison et fait taire mes craintes, tu m'aurais ramené sur le droit chemin et tenu éloigné des ténèbres. Ta présence me manque terriblement, si tu savais, comme ton absence est une terrible chose, une douleur diffuse et continue qui pèse sur ma poitrine, m'empêchant de respirer, de rire et d'être heureux. Je me sens retenu à la terre, à mon lit, comme entraîné par le fond. Si j'allais me baigner, je crois que je me noierais.

Dis-moi, je t'en prie, que tu n'as pas fait cela, que tu n'as pas envoyé un poison à Effiat. Dis-moi que je suis fou, idiot, que je suis faible, que je te trahis. Sois en colère, sois furieux, hurle-moi dessus à travers tes écrits. Enfonce ta plume dans le papier jusqu'à le déchirer. Noircis d'encre ta lettre, qu'elle en devienne illisible tant la mienne t'aura attristé et rempli de fureur tout à la fois.

Le pire dans tout cela, c'est que c'est de ma faute ! Si je ne t'avais révélé qu'Henriette était en cause dans ton emprisonnement et exil, tu n'aurais eu à leurs yeux ce motif de la tuer. Je sais que des motifs tu n'en manques pas, pas plus que moi. Elle t'en a toujours voulu de n'avoir succombé à ses charmes. Tu ne m'as trahi avec elle contrairement à tous les autres. Tu as été le seul à lui résister et rien que pour cela, elle te détestait, comme elle m'a détesté de ne point l'aimer.

Henriette était comme ça, elle avait besoin d'être adorée. Tous ceux qui n'y parvenaient recevaient en échange sa haine profonde, qui se répandait alors chez ses amis et confidents, si nombreux que chaque mot de sa bouche se gagnait toutes les Cours d'Europe à la vitesse d'un parfum dans l'air.

Combien de méchants mots en de méchantes lettres écrivit-elle, faisant de nous le couple au portrait le plus sombre ? On dit de toi que tu ne cherches auprès de moi que la fortune, et que moi, je suis aveuglé par ta beauté, que je suis trop faible pour voir ta malice, tes manœuvres, tes buts secrets et inavoués. Bien sûr, ses amis n'ont fait qu'enfler ses mots, qu'accentuer le trait, que le grossir jusqu'à le faire devenir grotesque.

Pourtant, ce qui leur paraît être un motif, n'en est pas vraiment...

Henriette se rendait malade toute seule, demeurant prostrée dans son amertume et sa jalousie. Elle enviait notre bonheur qui ne fut jamais le sien et ça la rendait méchante et cruelle. Peut-être l'aurait-elle été un peu moins si nous n'avions répondu à ses cris, à ses injures, à ces gestes désespérés... et vains. Car elle n'a jamais au fond fait qu'attiser notre amour. N'est-ce pas mon ange ? A chaque coup qu'elle pensait nous porter, nous nous aimions plus encore, et elle se retrouvait plus isolée.

Mais je crains que nous n'ayons creusé sa tombe. Par notre attitude, nous avons aggravé son mal en attisant cette haine qui la dévorait de l'intérieur, si bien que peu importe si une goutte de poison a touché sa chicorée, nous sommes responsables quelque part de son trépas.

Sachant cela, comment pourrions-nous encore lui porter rancune au-delà de la tombe qu'elle n'a pas encore rejointe ?

Pardonne mes errements, pardonne mes exigences folles, je ne suis que l'ombre de moi-même. Sans toi, tu l'as lu, je suis perdu et la proie des moult tourments. Je n'ai pas la moindre résistance contre ces langues terribles qui se lient contre toi. Il n'y a qu'une seule manière pour moi de retrouver la raison, c'est que tu me répondes au plus vite.

Je t'en conjure.

Ne m'abandonne pas.

8 juillet 1670, Reuil


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