Lettre XLIX, d'Athénaïs à Monsieur.

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Mon pauvre petit monsieur,

Je suis ton amie la plus chère, j'ai toujours été à tes côtés, je t'ai toujours soutenue. Mais je n'en puis plus. T'entendre ainsi te rabaisser une nouvelle fois alors qu'il est évident qu'Henriette comme le Chevalier ont leurs torts. Je ne dis pas qu'ils sont plus grands que les tiens, même si je le pense un tout petit peu, mais qu'ils sont au moins aussi grands et que tu devrais cesser d'idolâtrer le Chevalier ainsi.

Toutes ces années, il était parfaitement impossible de dire quoi que ce soit de mal à son sujet, et à dire vrai, je préférais ne rien te dire de certaines rumeurs craignant qu'elles ne te fassent plus de mal que de bien. Mais tu sais ce que j'en pense. Il n'y a pas de fumée sans feu. Ton bel amant n'est pas le mal incarné comme certains le pensent, je ne crois pas une seule seconde qu'il puisse avoir comploté comme on le raconte pour assassiner ton épouse. Il n'en aurait ni le cran ni les capacités !

Ton Chevalier est un bel homme, plein de fougue, d'audace, et c'est ce qui t'a toujours plu en lui. Mais il parle plus qu'il ne fait. Il se vante tant et tant qu'il finit par construire lui-même les rumeurs dont il se plaint ensuite auprès de toi. Henriette n'a pas eu grand-chose à faire pour que Louis finisse par craindre que le comportement du Chevalier ne te fasse du tort. Ton frère s'inquiétait de ta réputation, aujourd'hui, il s'inquiète de tes relations avec ton beau-frère.

L'Angleterre te croit encore coupable et c'est en partie de ta faute, de n'avoir envoyé encore de lettre à Charles, mais également et surtout de celle du Chevalier qui de par son comportement n'a fait que donner raison aux complaintes d'Henriette toutes ces années. Je suis désolé de te dire ainsi les choses, mais je crois bien que personne n'oserait le faire à présent qu'on l'accuse de meurtre. Tes mignons et même ton frère ne doivent plus oser te dire quoi que ce soit au sujet du Chevalier.

Moi j'ose. J'estime que je te le dois, au nom de notre amitié. Je refuse de te laisser t'enfoncer ainsi dans les abymes de la tristesse sans fond. Tu as toujours eu le goût pour la langueur, sans doute ton attrait pour la poésie, mais je ne crois pas que tu t'y plaises autant sinon tu ne préférais pas Molière à Corneille ! Laisse donc le Chevalier se changer les idées en Italie, cesse de le supplier ainsi que tu le fais. Plus tu le supplies ainsi, moins tu obtiendras ce que tu désires de lui. Ne connais-tu donc pas le dicton ? Fuis-moi, je te suis ? Traite-le comme il le fait avec toi quelques jours et tu le verras revenir à tes pieds, suppliant !

Je t'assure qu'en dépit de ses grandes déclarations, ses escapades de grand aventurier, il n'est rien sans toi et il en est parfaitement conscient. C'est toi qui lui donnes la possibilité d'une telle audace, par ton soutien indéfectible. Ne vois-tu donc pas que c'est ta douceur, ta générosité, ta capacité à nous donner à chacun de la force qui nous permet de briller comme nous le faisons ?

Même Henriette en a bénéficié. Ne nie pas les faits, je sais bien qu'après chaque dispute, tu te faisais pardonner de mille et une manières, que tu lui faisais parvenir des douceurs, du lait d'ânesse pour soulager son mal, que tu faisais venir de prometteurs artistes pour qu'ils la divertissent. C'est à toi qu'elle doit ses plus grands portraits qui ont fait la renommée de sa beauté. Tout comme ton frère, lorsqu'il était jeune alors. Je sais que c'est toi qui allais dans les ateliers d'artistes, que c'est toi qui as découvert LeBrun, toi qui as insisté pour que ce petit artiste italien vienne pour faire la sculpture de ton frère qui aujourd'hui le rend si fier.

Cesse de te voir en leur bourreau, tu ne l'as jamais été. Tu les as toujours soutenus et sans toi, ils se seraient effondrés depuis belle lurette. Puisqu'ils n'ont jamais su te rendre la pareille, laisse-moi donc le faire ! À défaut de revenir à la Cour, laisse-moi au moins te rejoindre au Reuil. Cette solitude ne te va pas du tout ! Tu ne peux dignement t'amuser en compagnie de tes enfants ! Comme cela doit être insupportable d'entendre leurs cris toute la journée... moi je n'en puis plus, j'ai renvoyé le mien à la campagne. Madame d'Aubigné s'occupe de lui à mon grand soulagement.

Si tu veux, je peux lui demander si les tiens ne peuvent rejoindre les miens, je suis persuadé qu'entre cousins ils s'entendraient bien ! Ma petite fille souffre beaucoup et peut-être qu'un peu de compagnies d'autres enfants l'aiguillent. Louis pense que ce sont les marais qui sont à l'origine du mal qui la tourmente. Je ne sais qu'en penser, j'espère qu'elle s'en remettra. Même si je ne suis capable de supporter ses cris de douleur, j'aime tout de même cette pauvre enfant.

9 juillet 1670, Versailles

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