Lettre LXV, du Chevalier à Monsieur.

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Je t'assure n'avoir rien dit de tel ni à ta cousine ni à des gens ne sachant tenir leur langue.

Je ne suis pas un imbécile, j'ai déjà payé le prix fort pour avoir bravé la volonté de ton frère, je ne ferais pas une seconde fois la même erreur. Je sais qu'il est très attaché à cette alliance. Le Roi m'a fait parvenir une lettre en me demandant justement de ne pas interférer dans cette union qui serait à mon bénéfice. D'ailleurs, il a usé des mêmes arguments que ta dernière lettre, à croire que vous vous êtes mis d'accord. C'est moi qui devrais m'indigner de votre corruption !

Je plaisante évidemment, je sais bien que vos arguments sont tout à fait valables. J'ai un certain train de vie et une facilité à dépenser l'argent plus qu'à le gagner. Ma famille est désargentée, aussi l'aide financière que tu m'apportes a toujours été précieuse. Ce serait idiot d'aller à l'encontre de mes propres intérêts.

En vérité, je n'ai aucune raison de le faire. Certes, je préférais que tu restes veuf et célibataire, ainsi je t'aurais tout à moi. Qu'aucune épouse ne puisse prétendre à quoi que ce soit sur ta personne me plairait évidemment, mais une telle chose est impossible. Tu es jeune, beau et un bon parti, il est vain d'espérer que tu restes célibataire jusqu'à la fin de tes jours et je ne suis pas assez fou pour espérer un mariage entre nous, aussi douce soit cette pensée.

Je t'assure être totalement innocent ! Je sais que le mot innocence associée à ma personne est des plus étonnant, mais en ce cas précis, tu constateras qu'il est parfaitement adapté. Je n'ai aucun intérêt à m'opposer à ce mariage et encore moins à en faire part à ta cousine !

Si tu veux mon avis, Anne-Marie-Louise est quelqu'un de suffisamment intelligent pour avoir compris que le roi n'écouterait les arguments raisonnés que vous lui avez donnés. Sans doute même a-t-elle anticipé le fait que tu finirais par te ranger du côté de ton frère. Alors elle a sorti l'argument de ma personne que Henriette a si bien utilisé pendant toutes ces années.

N'oublie pas qu'elle a été abreuvée des plaintes constantes d'Henriette me concernant. Il ne lui était donc pas compliqué de s'en inspirer d'autant qu'elle a eu le modèle sous les yeux et dans suffisamment de détails pour pouvoir en tirer une copie vraisemblable qui parvienne à vous tromper, ton frère et toi !

Ne vois-tu pas qu'elle agit de telle sorte que ce soit toi qui portes ses arguments à ton frère ? Qu'elle use de toi et de moi pour parvenir à ses fins ? Elle se fiche bien de sa fortune et de la perte que cela engendrerait pour le royaume, tout ce qu'elle veut c'est épouser un petit nobliau désargenté. Qui a dû la séduire à la seule fin de combler son ambition personnelle dévorante.

Je ne puis te dire quoi faire, mais je te suggère de cesser de voir ta cousine comme une femme sans défense qui a besoin que tu accoures à son secours, je t'assure qu'elle sait parfaitement se défendre toute seule, et même te causer quelques préjudices dans l'affaire. Mon amour, tu as toujours eu ce cœur bien trop tendre, ce n'est pas la première ni la dernière à l'exploiter. Moi-même j'en ai parfois abusé.

Je t'en prie, protège-toi un peu, je ne veux que tu en souffres !

15 octobre 1670, Rome

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