Lettre XXIV, de Monsieur au Roi.

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Que veux-tu que je te réponde, cher frère ?

Que je comprends tes gestes, que je te pardonne tes actes, que je me résous aux nécessités de l'État et accepte de me plier à toutes ces obligations que nous avons, toi, moi, Henriette, la Reine et même Charles II ? Que j'accepte et que je comprenne toutes ces contingences et que j'y sacrifie mon bonheur et mes espérances d'un bonheur futur ?

Pourquoi devrais-je te répéter ce que tu sais déjà ? J'ai passé mon entière existence à n'être que ton plus loyal sujet, que ton plus serviable lieutenant, exécutant tout ce que tu me demandais, me pliant à toutes tes exigences, à toutes les obligations matrimoniales, politiques, n'étant rien d'autre qu'un serviable fils de France comme Mère me l'a enseigné.

De cela, tu peux en être assuré, je ne dérogerai jamais à mes devoirs.

Mais mon pardon ? Il te faudra bien plus que de piètres excuses pour l'obtenir.

J'ai fait tous les efforts du monde pour te plaire, j'ai subi cet effroyable mariage, cette mascarade, à présent, je vais à Calais en compagnie d'une épouse qui n'a que mépris pour moi, je subis les regards pleins d'opprobre des ambassadeurs anglais qui doivent penser comme leur maître le plus grand mal de moi. Je pensais que les jours passés seul en compagnie d'Henriette avaient été infernaux, les pires instants de ma vie en dehors des terreurs de la Fronde, mais il n'en est rien.

Ce voyage est affreux. Ces repas pris en leur compagnie sont insupportables ! Le Duc d'York se comporte comme l'a fait son père avant lui auprès de notre mère, avec le plus effroyable des comportements, le plus scandaleux et le plus terrible. Je me sens trahi, doublement. Comme je l'ai été tant de fois par le passé. Le voir la courtiser à notre table, sous mes yeux, ne peut que me rappeler ce que j'ai vécu lorsque nous étions jeunes mariés et qu'elle riait à chacun de tes mots.

Vous passiez tant de temps ensemble, aviez l'air si heureux et j'en fus mortifié. Parce qu'elle ne riait pas ainsi en ma compagnie, qu'elle avait l'air triste et morose quand elle était seule avec moi alors qu'elle rayonnait de mille feux en ta présence ! Vous partiez ensemble en de longues promenades, elle se baignait en tes bassins, et tu l'as vue plus d'une fois en des tenues parfaitement indécentes. Je n'ai jamais cru en ces terribles rumeurs à votre sujet, mais les entendre m'a toujours profondément blessé.

Et à présent, je revis la même chose, avec un homme différent. J'ai le sentiment qu'il y aura toujours des hommes plus beaux, plus charmants que moi à lui faire la cour devant mes yeux et que je devrai en subir l'outrage en public. Je ne puis continuer ainsi, mon frère. Je ne sais ce qu'il en sera à l'avenir, mais c'est trop difficile.

Tu m'as privé du Chevalier, de l'amour de ma vie, et à présent tu me forces à observer ma femme heureuse avec d'autres hommes que moi. Quels autres supplices m'attendent encore ? Tu prétends m'aimer, ne vouloir que mon bien, être désolé de ce que nous vivons Henriette et moi, mais chacun de tes gestes prolonge notre agonie. Peu importe ce que tu dis vouloir, tu agiras toujours en ton sens et nous puniras toujours d'être de ta famille, tu ne verras en nous que des pions à agiter, et en nos souffrances des outils affûtés à ta politique.

Je suis triste et malheureux mon frère, le plus triste des hommes, et mon cœur commence à ressembler à de la pierre tant il se serre et s'assèche. Si tu as encore une once d'amour pour moi, je te prie de songer à tout cela, à tes actes, à mon sort en cette ville affreuse et à réfléchir à ce qu'il en sera pour l'avenir. Car je ne supporterai plus cela très longtemps.

25 mai 1670, Calais.

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