Lettre XLVIII, de Monsieur à Athénaïs.

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Ma chère amie,

Il faut que tu m'aides ! J'ai commis une terrible erreur ! J'ai envoyé au Chevalier la lettre la plus mesquine et la plus affreuse qui soit ! Je lui ai demandé de me jurer son innocence, comme si je le croyais une seule seconde coupable de ce dont les médisants l'accusent ! Pourtant, je sais bien que ces racontars viennent des amis d'Henriette qui détestent déjà le Chevalier avant la mort de Madame et qui maintenant, le haïssent de lui avoir survécu.

Si tu savais comme je me sens coupable. Si je ne les avais pas laissé se comporter ainsi, comme des enfants turbulents, se lançant mille et une vacherie, ourdissant de vains complots qui n'aboutissaient jamais... En vérité, je n'ai jamais cru qu'ils pourraient vraiment se faire du mal et tenter de les raisonner me paraissait impossible. Si j'avais su ce qu'il m'en coûterait, ce qu'il nous en coûterait à tous les trois...

J'aurais tenté d'endiguer ces jalousies et ces mesquineries, je les aurais contraint à l'amitié plutôt qu'à la querelle, j'aurais calmé leur colère et ressentiment, donner plutôt de l'éclat à leur amour. Car ils en sont capables.

Tu l'ignores pour Henriette qui t'a toujours montré son plus vilain visage, mais elle n'était pas ainsi avec tout le monde. Même avec moi, elle avait beau hurler, me traiter de tous les noms, elle pouvait faire preuve de douceur et parfois même, d'attentions. Aussi timides qu'ils puissent paraître, je voyais tous ses gestes d'amour dérobé qu'elle avait, comme lorsqu'elle me ramenait des robes, du maquillage, de nouvelles parures.

Certes, le Chevalier et toi en faisiez autant, mais lorsque ça venait d'elle, n'en sois jalouse je t'en supplie, c'était différent. J'y voyais une tentative de réconciliation après les vives disputes que nous pouvions avoir. Nous étions capables de nous rabibocher lorsque nous faisions l'effort, et je dois bien l'admettre, ça arrivait plus souvent quand le Chevalier s'absentait.

Ce dernier a toujours eu ses mouvements d'humeur, ses jalousies mesquines, même envers moi ! Quand je lui refusais quelque chose, ou accordait plus d'attention à l'un de mes mignons plutôt qu'à lui, il pouvait partir dans de grands éclats et disparaître plusieurs jours pour me punir. Henriette devenait alors douce, presque adorable. Oh je sais bien qu'il y avait une part de victoire en elle à ce moment-là, mais qu'importe, ces instants-là existaient bel et bien, et j'aurais pu tenter de les faire fructifier. Surtout, j'aurais dû tenter l'impossible : les réconcilier !

A présent, il est trop tard et je tremble comme une feuille à l'idée qu'il arrive quelque chose de terrible.

Les canons de notre cousine ne m'ont jamais poussé à la frayeur comme le Chevalier le fait à cet instant. J'ai tenté de lui masquer mes tourments, ne voulant gâcher ses aventures italiennes dont il m'envoyait un peu de la chaleur et de la douceur, me donnant le sentiment de voyager avec lui. C'était plaisant d'y croire, l'ombre d'un instant. Et puis, j'ai eu un moment de terrible faiblesse. Je lui ai demandé s'il y était pour quelque chose...

Que Dieu me pardonne, je lui ai demandé de se justifier... comment pourrait-il seulement vouloir me parler après cela ? Après que moi, celui qui jure l'aimer, n'aimer que lui, le trahisse ainsi ? Je suis furieux d'avoir écrit ces mots, plus encore, de les avoir pliés, cachetés et envoyés. À présent, tout est perdu !

Mais peut-être qu'il vaut mieux ainsi, qu'il ne revienne jamais en ce pays qui le déteste et voit en lui un meurtrier !

Lui qui n'est qu'un cœur passionné, plus naïf qu'on ne le croit, un brave qui se donne des allures de brigands, qui voudrait paraître plus méchant qu'il ne l'est sans comprendre le préjudice que cela lui cause. Comment ai-je pu lui dire de pareilles choses, si terribles, sans songer à ce que cela lui ferait ?

Je ne sais pourquoi je t'écris tout cela, tu n'as pas le pouvoir miraculeux d'arrêter ce coursier avant qu'il n'atteigne le Chevalier... Athénaïs, toi à qui on a donné ce surnom de déesse, n'aurais-tu pas quelques éclairs foudroyant à envoyer pour brûler cette abominable lettre que j'ai envoyée dans un instant d'égarement ?

Mais peut-être ne liras-tu même pas jusqu'à ces mots, peut-être déchiras-tu ma lettre en me voyant parler d'Henriette avec douceur et regret. Nous nous unissions dans notre défiance d'elle, nous étions les seuls à la voir sous son vrai jour. Mais l'on ne peut complètement haïr quelqu'un sans l'aimer également, ne crois-tu pas ?

Je ne sais ce qu'il me prend, peut-être est-ce son terrible trépas qui m'affecte ainsi ? C'est d'un cliché méprisable mais quand je songe à elle, j'éprouve plus de regrets qu'autre chose. J'ai l'impression d'avoir tout gâché, avec elle, avec le Chevalier, avec Charles II qui demande ma tête sur une pique, et peut-être même avec toi...

Quel homme abominable j'ai pu être, le pire des amis, le plus effroyable des amants... j'espère que vous me pardonnerez.

8 juillet 1670, Reuil


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