Lettre LVIII, de Monsieur au Roi.

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Mon cher frère,

Sais-tu à quel point c'est important pour moi ? Ta présence à mes côtés, tes conseils, ton oreille écoutant mes complaintes ? Et tu en as entendu beaucoup ces derniers temps. J'ai essayé de faire taire mon cœur, de ne pas trop verser de larmes, de ne pas écouter la rage qui m'éperonnait à chaque fois que ces affreuses rumeurs me parvenaient, ces terribles choses qu'on raconte encore. Cela a été si difficile, ce mois de juillet, si chaud et si pénible.

Ce mois a été affreux.

Avoir été l'objet de tant de calomnie et n'avoir eu personne pour songer à mon propre chagrin m'a fait beaucoup de peine. Toi et la Reine avez été à mes côtés, et je vous en remercie, mais cela n'en a pas été moins douloureux, de se sentir aussi seul, aussi rejeté, de voir tant de personnes qui se prétendaient mes amis se détourner ainsi de moi. Cela m'a permis de faire le tri. Cela me pèse qu'ils aient si peu d'égards pour un rang tel que le mien, si peu de compréhension de qui nous étions, du couple que nous formions. Plus encore, ils n'ont jamais su qui elle était.

Henriette aurait détesté cela. Ou peut-être pas. Qu'en sais-je ? Je regrette qu'elle ne soit plus, qu'elle ait tant souffert, de son vivant comme dans ses derniers jours. J'aurais aimé que la vie soit plus douce avec elle.

Avoir vécu tout cela sans lui, sans le Chevalier à mes côtés, ne pas pouvoir m'appuyer sur lui ni sentir son amour me réchauffer, ses puissants bras m'entourer, sa présence réconfortante, sa voix douce susurrer au creux de mes oreilles, tout cela a été si pénible, si douloureux. Cela l'est encore. Le savoir si loin de moi, est une pensée qui me noue parfois de remords. Je m'en sens responsable de son exil, de n'avoir su te convaincre qu'il n'était un danger pour personne.

Le plus difficile reste ces regrets si terribles à porter même si je sens le poids s'en alléger à mesure que l'agitation se fait moins forte autour de moi.

Là où je retrouve le sourire, c'est d'ailleurs ce qui m'inspire ces mots d'allégresses c'est la fin du silence de l'autre côté de la Manche. Savoir que Charles II accepte désormais mes lettres et même qu'il y répond, me remplit de joie. Regagner sa confiance prendra du temps mais j'y parviendrai, j'en suis certain.

C'est toi qui m'a poussé à les écrire, persuadé qu'il finirait un jour éventuellement par les lire. Tu m'incitais à ne prêter foi à tout ce que j'entendais en provenance de l'Angleterre, tu me conseillais de ne pas écouter les diplomates qui ne cherchaient qu'à créer de la querelle et de la rancœur, tu me disais que je devais laisser parler mon cœur, que ma sincérité finirait par toucher Charles II comme elle t'a toujours touché et guidé.

J'en ai eu les larmes aux yeux quand tu m'as dit toutes ces choses-là. Mon cœur vrombissait dans ma poitrine, j'ai cru qu'il allait la transpercer. Si tu savais, comme je t'aime quand tu crois ainsi en moi, que tu me pousses à avoir plus de foi et de courage, d'oser enfin.

J'étais persuadé qu'en faisant ainsi je ne pouvais qu'empirer les choses. Toi et moi n'avons de jolie plume, nous n'avons été aussi bien éduqués qu'on aurait dû, nous avons passé bien trop de temps livrés à nous-même, enfants. Pourtant, en dépit de ma peur, j'ai écrit ces lettres, et voilà qu'enfin, j'ai obtenu une réponse !

Froide, bien sûr. Je sens sa colère sous le trait appuyé de sa plume qui a presque percé en plusieurs endroits le papier, mais il y avait une ouverture, une invitation à discuter. Il attend d'être convaincu, je le pense bien, et je ferai en sorte qu'il le soit, tu peux en être assuré. Je sais qu'il est important de le ramener dans le giron de la France, pour la guerre que tu veux mener en Hollande, pour la paix entre nos deux pays et en mon cœur si tourmenté depuis le trépas d'Henriette.

Plus encore, j'espère qu'en voyant la paix ramenée entre Charles et moi, tu songeras en des termes plus doux à mon Chevalier et à mon cœur endolori. Tu le sais mieux que quiconque que les lettres d'amour sont de belles choses mais qu'elles ne suffisent enfin à apaiser l'âme, qu'il nous faut plus, à tous les deux, que nous ne sommes faits pour les histoires platonique, que nous avons un cœur à aimer, avec toute la passion dont nous sommes capables !

Il me dit des mots d'amour qui enflamment mon corps autant que mon âme, mais je n'en puis plus, d'user mes doigts et tous les artifices que je peux trouver pour combler son absence. Il est mon amant, le seul et unique qui puisse me réchauffer durant ces longues soirées... d'été. Cette ardeur en moi, cette passion, tout cet amour que j'ai besoin d'offrir à quelqu'un, où tout cela peut-il bien aller ?

J'ai des amants, il est vrai, des mignons très charmants, et autrefois je m'en serais contenté, mais après ce mois éprouvant, j'ai besoin de plus que d'une simple tocade. D'autant que d'imaginer ses aventures loin de moi me rend tout à fait incapable de m'amuser, même avec le plus adorable et le plus beau des hommes. C'est lui que je veux, lui seul capable d'apaiser mon âme. Ces mots qu'il m'adresse, je veux les entendre de sa bouche. Je veux qu'il fasse de moi son aimé, en parole comme en geste.

Tu sais tout cela, je te l'ai déjà dit, et je me moque de te lasser à force de te le répéter. Puisque c'est toi qui me prive de lui, alors sache combien j'en souffre, sache que je ne l'oublie point, que la présence de mes mignons, de mes enfants, de toi, de la famille, d'Athénaïs, rien de tout cela ne me comble, ne me suffit.

Entends-le, rien ne me le fera l'oublier. Pas même une nouvelle épouse qui de toute façon, ne veut de moi.

C'est pour toutes ces raisons que je te promets de t'obéir au sujet de ce remariage, dans un délai raisonnable qui respectera la période de deuil et me permettra de faire perdurer ce lien avec Charles II, à la condition qu'il me revienne. Je n'aime te faire de chantage mais je n'ai le choix. Je sais bien que d'autres t'en feront tout autant pour l'empêcher de revenir à la Cour. Tu connais mes sentiments pour lui, tu sais que je ne puis vivre sans lui. Je t'ai déjà dit tout cela en de trop nombreuses lettres. Je t'en conjure, accepte cette modeste condition. 

8 août 1670, Saint Germain

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant