Lettre LXXIV, du Roi à Monsieur.

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Je ne sais comment je dois prendre ta lettre. Naturellement, je n'oublie pas que tu es ébranlé par tout ce qui s'est produit avec Anne-Marie-Louise et que effrayé à l'idée qu'un tel désastre se reproduise. Je puis t'assurer que je ferais tout pour t'éviter cela. Cette affaire m'a causé autant de tracas qu'à toi.

Je reconnais m'être fourvoyé avec notre cousine, mais aurais-je pu prévoir qu'elle irait jusqu'à s'adonner à un esclandre en public pour cet imbécile de Lauzun ? Je crois qu'aucun de nous n'aurait pu s'attendre à une telle attitude de la Grande Demoiselle. Toutefois, je m'en excuse. Cela ne te donne cependant pas le droit de t'adresser ainsi à moi.

Cette lettre que tu m'as envoyé m'a paru être une suite d'exigences et de reproches sous-entendus, comme si j'étais responsable de tous les drames que tu as pu traverser et que tu te plais à nous remémorer.

Puisque tu abordes le sujet, je ne pense pas être responsable de l'échec de ton mariage avec Henriette. Aucun de nous n'aurait pu deviner ce qu'il adviendrait. Souviens-toi de l'enfant timide et gauche qu'elle était. Quand je t'ai demandé de l'épouser, je craignais que tu refuses en lui trouvant trop peu de grâce. Comment aurais-je pu savoir qu'elle avait le béguin pour moi alors que je n'avais jamais eu le moindre mot aimable pour elle ?

Mais c'était une princesse. Dès que son frère a accédé au trône que Cromwell avait usurpé à sa famille, son destin était scellé, tout comme le nôtre. Elle se devait d'épouser un prince et si tu ne l'avais fait, nous aurions perdu une précieuse alliance. Je n'oublie que nous étions des enfants et que nous n'avions aucune idée de comment procéder, comment faire pour rendre une union fertile et harmonieuse.

Henriette, toi et moi n'avons su comment faire. Je ne peux vous jeter la pierre, je n'ai guère été mieux avec la Reine qui a vécu un véritable enfer au début de notre mariage. La pauvre se trouvait en un pays étranger, parlant à peine quelques mots, n'en comprenant guère plus, si bien qu'elle se réfugia en bien des occasions dans sa langue natale, s'enfermant dans ses appartements. Cela m'a pris du temps avant de comprendre que je n'avais qu'à la rassurer et discuter avec elle, que tout ce dont elle avait besoin c'était de mon soutien et d'un peu d'attention.

Ce que je souhaite te dire, c'est que nous avons changé, et en mieux. La Reine m'assiste et me conseille, si bien que je pourrais me reposer sur elle quand nous serons partis en campagne. Je sais que s'il devait m'arriver quelque chose, elle agirait de la même manière que notre mère, se battrait afin d'assurer l'avenir du dauphin et de la France. Plus encore, je sais que tu l'y aiderais. Tu n'es pas Gaston, féfé, tu ne l'as jamais été et de cela, je n'ai jamais douté.

J'entends ce que tu me dis, je ne suis ni sourd ni aveugle à tes craintes. Tu as raison, une princesse impétueuse ou ambitieuse ne servirait nos intérêts. C'est pour cela que j'examine soigneusement toutes les candidates que nos royaux voisins nous suggèrent. Ainsi, je ne songe à donner suite aux propositions de l'Espagne et d'Angleterre tant leurs princesses me paraissent aussi fragiles que le soutien que leur pays pourrait nous apporter.

En revanche, le Palatinat pourrait nous offrir alliance tout à fait estimable, qu'en penses-tu ?

Nous pourrions profiter d'une voie royale jusqu'à la Hollande. Ils nous fourniraient un passage sûr pour l'armée mais aussi le ravitaillement de celle-ci. Ce qui est plus qu'essentiel en campagne, et cela, tu le sais. De plus, compter un électeur dans notre famille nous permettra d'avoir un peu d'influence sur le Saint Empire Germanique qui constitue à ce jour notre seule véritable menace. Ainsi pourrions-nous peut-être défaire Guillaume d'Orange de son plus redoutable allié !

Bien sûr, Charlotte Élisabeth de Bavière n'est pas la plus jolie des princesses, ses manières sont, semble-t-il, un peu rudes, et il ne faut pas oublier qu'elle est protestante, mais tout ceci peut se régler aisément. Quant à sa beauté, je ne doute pas que tu sauras la mettre en valeur, tu as toujours eu un talent certain pour habiller les femmes.

Sur le plan stratégique et militaire, elle est le meilleur choix, mais je ne veux t'obliger à quoi que ce soit, j'attends donc ton avis sur cette princesse et selon je m'engagerais avec l'électeur.

Post-scriptum : je te suggère de t'adresser à Anne de Gonzague qui connaît bien cette famille. C'est elle qui m'a soufflé cette alliance. Je la sais être de tes amies et confidentes, aussi, tu n'auras aucune difficulté à obtenir d'elle de plus amples informations sur celle qu'on surnomme Liselotte.

17 juin 1671, Versailles

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