Lettre LIV, de Monsieur au Chevalier.

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Mon doux Chevalier,

Enfin tes mots me parviennent, ils étaient bien trop succincts, à mon goût, et bien trop amers. Je pourrais croire en ton chagrin et en ta colère si je n'entendais pas les histoires rocambolesques de toi et de Marie en des places de Rome. Est-ce parce tu es blessé par mes mots que tu cherches à me punir en t'exposant ainsi avec elle ? Que tu me boudes, me punisses de ton silence, je comprendrais. Je l'ai mérité après avoir douté de toi de la sorte. Mais que tu uses de cette femme pour m'atteindre, cela je ne pourrais le supporter.

Pas alors que je me débats pour prouver ton innocence et te laver de tout soupçon !

Oui, j'ai eu ces doutes affreux, mais n'est-ce pas humain ? Moi, je suis ici à supporter leurs regards, à entendre leurs accusations à peine voilées, je suis sans cesse confronté à tout cela, au point que j'ai dû fuir à Reuil pour ne plus les écouter. Je ne suis même pas allé aux funérailles de mon épouse ! Heureusement que mon frère m'a couvert.

Je supporte tout cela pour toi, au nom de notre amour, je souffre en silence. Tout ce que je te demande, c'est un peu de soutien. Si tu peux batifoler avec cette folasse en Italie c'est grâce à moi qui ai supplié mon frère, négocié âprement afin que tu sois libéré de la prison de Marseille. Et grâce à Henriette. Oui, celle-là même que tu m'enjoignais d'abandonner à son triste sort à Calais !

Si je n'étais parti, peut-être aurais-je vu qu'elle était trop faible pour rentrer sur Versailles, plus encore pour assister à ces stupides célébrations ! Je m'en veux, si tu savais, de tout ce que j'ai pu laisser se produire sans réagir. Plus encore, de vous avoir tous empoisonnés avec ma jalousie. Au lieu de tenter de calmer les tensions en usant de tempérance, je vous ai rendu la vie impossible avec mes mesquineries.

Mais qu'y puis-je ? J'ai toujours été d'un naturel jaloux et vous aimer n'a guère amélioré les choses.

Te savoir en Italie avec elle me rend dingue ! Je suis persuadé qu'elle le fait exprès ! Marie de Mancini ne peut avoir d'autres buts que de revenir à la Cour, auprès du Roi. Elle pense certainement qu'Henriette disparue, la place est libre ! Cette garce n'a jamais désespéré de retrouver l'amour de mon frère. Vois, constate donc, comment la jalousie me change en monstre de haine !

Peut-être est-ce également la solitude.

Je suis actuellement enfermé à Saint-Cloud, n'y recevant personne hormis le Roi et la Reine. Depuis les funérailles d'Henriette, j'ai renvoyé tous nos amis voulant venir me voir, même Athénaïs ou ma Grande Cousine. Leur sollicitude me paraissait insupportable, presque autant que ton silence. Je me drape peut-être dans le malheur comme me le disait Henriette, mais à ce jeu, elle était plus forte que moi encore.

Oui, j'ai fui la Cour, ne supportant plus ces flatteurs qui vous sourient par devant et vous poignardent par-derrière. Je suis resté seul avec mes enfants, cela faisait si longtemps que je ne les avais vus. Je ne voulais les abandonner sitôt les funérailles passées, ils ont perdu leur mère, je ne veux qu'ils aient l'impression que leur père se moque de leur sort et est trop distant pour entendre leurs pleurs.

Nous passons d'heureux moments. Mon aînée est si belle, elle me rappelle sa mère par son caractère rêveur et sa grâce. Je suis certain qu'elle brisera des cœurs, et plus encore, qu'elle fera une très belle reine. Je lui souhaite de régner. Les autres sont joueurs, malins, si cultivés ! Leur compagnie est en vérité plaisante. Et dire que pendant toutes ces années, nous étions persuadés, Henriette et moi, que nous nous ennuierions les enfants autant que nous-mêmes dans ces réunions familiales, mais il n'en est rien !

Mes enfants se délectent de ma présence. Je n'avais vu les plus jeunes grandir, je suis tout à eux à présent. Je n'aurais songé à prendre autant de plaisir en des choses aussi simples que des jeux de quilles. Ils m'épuisent avec leur énergie, mais cela fait tant de bien, de courir dans les jardins, de jouer à cache-cache. Et quand il fait trop chaud, nous allons à la Seine, nous allons voir les avancées des travaux de Versailles.

C'est rafraichissant d'être éloigné de la Cour et de son étiquette. Oh je ne regrette pas un seul instant ce que nous avons créé, mon frère en est ravi et voir tous ces nobles familles, ces Grands qui nous auraient étouffés dans le berceau s'ils avaient pu lorsque nous étions enfants s'humilier à tenir les souliers du Roi m'amuse toujours autant. Particulièrement après ce que leurs langues perfides ont pu cracher comme venin à ton encontre. Seulement, ces instants que je passe à Saint-Cloud, je ne pourrais les avoir à Versailles, en la Cour où les enfants n'y sont acceptés.

Je comprends cet éloignement rendu nécessaire par ces maudits marais. Ces pauvres bambins que la vérole a tués, Athénaïs n'aurait dû insister pour avoir ses enfants auprès d'elle. Je ne lui fais aucun reproche, la nôtre a toujours refusé de se séparer de nous. Et cela a rapproché notre famille, en dépit de tout ce que nous avons dû affronter, nous étions là, les uns pour les autres. Si Mère avait écouté le Cardinal, nous aurions été chacun chez un précepteur, et peut-être que Louis et moi aurions été déchirés comme Père et Gaston l'étaient.

Quoi qu'il en soit, la vie est douce ici. N'étant plus à la Cour, j'ai repris le rythme indolent que nous avions. À traîner toute la matinée en robe de chambre, à se prélasser au soleil en lisant la gazette. Molière me fait parvenir les textes de ses dernières pièces, je sais tout avant même qu'elles soient jouées. Je m'amuse à faire les critiques littéraires en ce moment.

Nous goûtons ces instants, même si je suis attristé de les vivre sans toi. Je me questionne sur ce qu'auraient été ces jours si tu avais été à mes côtés, si tu avais été là durant ce pénible enfermement, si tu avais été présent pour affronter ces tourments ? Et ce faux calme revenu, obtenu si difficilement, par une sorte d'exil que je me suis imposé...

Je suppose que tout aurait été très différent.

Je me demande si nous nous serions déchirés comme nous le faisons en cet instant ? Je me sens coupable de t'avoir posé ces questions, d'avoir douté de toi, et je mérite sans nul doute ces rares mots acides autant que ta colère. Je la ressens à travers ces milliers de kilomètres qui nous séparent.

Hâte ton pardon, décharge-toi de toute ta rancune car il y a tant de choses importantes que je dois te conter. Mon frère m'a fait une demande qui te concerne également, mais je ne le puis te la partager sans être certain que tu n'as plus toute cette colère en toi. Car j'ai peur de ce qu'elle te pousserait à faire de cette révélation. Le Roi ne te pardonnerait une nouvelle trahison et tout serait perdu à jamais.

Je t'en supplie, réponds à mes lettres, délivre-moi tous ces ressentiments pesants si lourdement sur ton cœur. Tu ne peux m'en bannir, pas plus que je n'en suis capable. Alors, pour la paix de nos âmes, soyons à nouveau amis.

25 juillet 1670, Reuil


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