Lettre LXXVII, de Monsieur à Anne de Gonzague.

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Madame, l'on me rapporte que vous avez joué les entremetteuses entre l'Électeur du Palatinat et mon frère en vue de mon mariage. Je ne suis certes pas celui qui décidera de ce mariage, mais je souhaiterais toutefois en savoir plus sur la fiancée que vous m'avez trouvée. J'ai bien reçu son portrait, mais rien ne vaut celui dressé par une amie, ne pensez-vous pas ?

Vous qui êtes l'épouse du Roi de Bohème, vous pourrez me dire ce qui vous a inspiré l'idée de ce mariage dans lequel vous avez, semble-t-il, mis beaucoup de dévotion et de passion.

Dites-moi quel genre de femme est ma fiancée. Lui avez-vous dépeint ma personnalité ? Flatteur je l'espère. Je plaisante, un portrait honnête serait infiniment plus utile. J'ai connu un premier mariage difficile parce que nous étions assez naïfs pour attendre un amour que nous n'avons jamais tenté de construire. Je suis devenu père, veuf, j'ai mûri, et je pense qu'une union basée sur la franchise est bien plus solide. Aussi je compte sur vous pour remettre à Marie-Elisabeth ce billet :

Ma chère Elizabeth,

Nous sommes fiancés, bientôt nous nous rejoindrons à l'autel. Je souhaite me présenter à vous le plus honnêtement possible. J'ai été marié, je suis père, pas aussi proche que je le voudrais de mes enfants, mais je les chéris et, depuis la mort de leur mère, je passe du temps avec eux, ne voulant leur donner un sentiment complet d'abandon. Je n'ai sans doute pas été un très bon époux ni père par le passé, mais je souhaite changer tout cela, et si vous m'aidez en ce sens, je pense que nous pourrions très bien nous entendre.

Je ne suis pas capricieux ni autoritaire, en réalité, je voudrais que nous nous laissions autant de liberté que possible. Ce n'est pas dans un mariage qu'on trouve l'amour, pas celui qu'on espère du moins lorsqu'on est jeune. Vous le chercherez ailleurs, mais j'espère qu'auprès de moi vous trouverez un allié, un ami, un confident. Je ne vous laisserai jamais tomber, je serai à vos côtés durant toutes les épreuves que la vie réserve. Je suis quelqu'un de loyal et de fidèle en amitié.

Mais mes goûts et mes manières peuvent surprendre. J'aime les jolies choses, et je prendrais grand plaisir à vous offrir les plus belles toilettes, les pierreries les plus admirables et vous combler de tout ce qui rend la vie plus douce. Je suis également passionné par le théâtre, la musique, les bals et tout ce que la vie culturelle parisienne peut offrir. J'adore l'art et y consacre du temps, parfois beaucoup d'efforts pour compléter ma collection. En revanche, je suis un piètre chasseur.

En tout cela, je me doute que nous serons très différents. Mais je pense que rien ne nous oblige à aimer les mêmes activités. En vérité, être trop semblable n'est pas une bonne chose. De la différence naissent la complicité et l'amitié. En cela notre mariage pourrait être une réussite. Dites-moi votre avis sur le sujet, et surtout, dites-moi quels sont vos goûts. Qu'aimez-vous faire, porter, manger, que je puisse commencer à vous préparer vos appartements à Saint Cloud.

Mais je dois vous avertir que nous voyageons beaucoup avec la Cour. Moins qu'autrefois, nos parents faisaient le tour de la France au moins une fois par an. Mon frère a pris l'habitude de ne le faire qu'une fois tous les cinq ans, ce qui correspond à peu près aux campagnes militaires qu'il organise.

Ainsi nous allons à Paris l'hiver afin de profiter de la saison culturelle. Nous séjournons alors au Palais Royal. Nous n'allons plus au Louvre, qui est trop difficile à chauffer. Au printemps c'est à Saint-Germain, où nous sommes venus au monde mon frère et moi. Enfin nous passons l'été à Versailles, dans le palais que construit mon frère, assez inspiré par celui que j'ai bâti à Saint Cloud.

Ne vous en faites pas, ce n'est pas aussi épuisant que ça en a l'air. Les demeures royales sont si proches qu'en une journée le déménagement est fait.

D'ailleurs, je me rends très régulièrement à Saint-Cloud qui est plutôt bien positionné, juste entre Saint-Germain et Versailles. Ainsi je peux quitter la Cour quand je suis trop las des festivités. C'est mon cocon, mon foyer, ma maison et j'espère que vous l'aimerez autant que moi.

J'ai si hâte de partager tout cela avec vous, en attendant je serais ravi de lire vos lettres si vous souhaitez m'écrire. Nous pourrions ainsi faire plus ample connaissance avant de nous rencontrer.

Mes plus profondes amitiés,

Merci, madame, de lui transmettre ce mot de ma part et de lui donner mon adresse pour qu'elle puisse m'envoyer sa réponse.

9 octobre 1671, Paris

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant