Lettre LXI, du Chevalier à Monsieur.

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Mon Dieu, es-tu devenu complètement fou ? As-tu perdu l'esprit ? Est-ce comme lorsque tu m'avais demandé si je pouvais t'aider à enfiler un corset parce que tu voulais parader au carrousel maquillé et vêtu comme une dame ? Je t'adore, et je te trouve très belle quand tu es ainsi, mais tu sais bien qu'il est impensable pour ton frère, les nobles, la Cour, le monde entier que tu paraisses ainsi pour des événements officiels.

Il est vrai que ton frère n'a rien dit quand tu as paru en robe aux appartements, qu'il a même plaisanté du fait que tu étais mieux habillé que ces nobles dames, mais si lui ne dit mot, qu'en est-il des autres ? Tu as vu ce qu'il s'est passé pour nous deux. Tes amours sont acceptés par ton frère, de sorte que personne n'ose les critiquer ouvertement. Pourtant, tu n'as jamais eu le statut de ministre de la guerre que pourtant tu aurais tant mérité. Et quand ton épouse est morte, ils ont osé t'accuser puis m'ont accusé, moi !

Personne n'aurait osé faire cela à ton frère ni même à ton oncle ! Mon amour, ne vois-tu pas que s'exposer de la sorte à un prix ? Tu t'exposes à un danger dont tu ignores l'immensité. C'est bien assez que tu aimes un homme, que tu lui donnes le titre de favori, que tu lui accordes ta confiance et d'assez luxueux appartements en tes palais. C'est bien assez que tu te fardes de temps en temps, que tu t'habilles en femme en public.

Tu sais, mon ange, que rien ne me ferait plus plaisir de t'épouser, de te traiter comme la femme que tu aurais aimé être, d'être à tes côtés en tout instant, de te protéger contre ces commérages et ces médisances, d'être là pour toi en chaque instant, de te soutenir et d'être fier du courage dont tu fais preuve. Mais tout cela est purement et simplement impossible. Et je doute que cela ne le soit jamais.

Nous aurions fait des époux merveilleux, mais nous n'avons nul besoin de bague ni de célébration encore moins de prêtre pour nous dire de nous aimer. Dois-je te rappeler que tout mariage est voué à l'échec ? Tous les époux finissent par se détester. Ce qui t'est arrivé avec Henriette arrive à bien d'autres. Je ne connais nul mariage heureux, et je veux rester auprès de toi dans le bonheur le plus complet.

Et puis, toi qui as reçu cette éducation si religieuse, oublierais-tu donc ce qu'en pense l'église ? Combien de leurs membres ont-ils fustigé à Rome pour avoir eu le malheur d'aimer un homme plutôt qu'une femme ? Si en France personne de la famille royale n'a jamais été torturé en place publique pour cela, c'est arrivé à d'autres, malheureux, n'ayant ni titre ni Roi pour les protéger. Crois-tu que Bossuet qui s'acharne sur Athénaïs pour son adultère célèbrerait notre union ? Non, bien sûr que non.

Mais cela n'a pas la moindre importance, car notre amour est plus fort que toutes ces célébrations et ces promesses que personne ne tient jamais. Nous nous aimons et c'est tout ce qui importe. J'espère que tu n'as souillé le papier de tes larmes et dilué l'encre de telle sorte qu'elle en devienne illisible, car c'est important ce que je t'écris là. Si j'étais devant toi, je te le hurlerais.

Je t'aime et le reste n'a pas la moindre espèce d'importance.

30 août 1670, Rome


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