Lettre XLII, du Chevalier à Monsieur.

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Rien ne me rend plus triste que de lire ta lettre, de t'imaginer courber sur le papier, ta plume tremblante dans ta main, et le chagrin t'étreignant tant que tu n'as pu retenir les larmes qui ont maculé tes mots. Toi qui ne détestes rien de plus que de voir des taches d'encre comme le moindre désordre en tes habits, il faut que tu sois désespéré mon pauvre pour en arriver à m'envoyer une lettre dans un pareil état et c'est ce qui m'inquiète le plus.

Je ne peux même pas te consoler ou te rassurer. Je ne peux même pas te prendre dans mes bras, te dire que tout ira bien, t'enlacer, t'embrasser doucement, glisser ma main dans tes cheveux, caresser ta joue du bout des doigts et te répéter encore et encore que tout ira bien, même si avant d'atteindre de plus doux rivages nous devrons affronter la tempête.

Je ne peux que t'assurer que je vais bien, que rien de tout cela ne peut m'atteindre, que je n'ai jamais cherché à obtenir leurs ferveurs, leurs compliments, leurs attentions et que je me fiche bien de ce qu'ils pensent de moi. Il n'y a que toi dont je me soucie, tu le sais bien. Il n'y a que ton avis qui m'importe, que ta voix que j'écoute, que tes caresses et ton amour que je recherche, dont j'ai besoin. Les autres m'indiffèrent parfaitement. Il en a toujours été ainsi.

Mais toi, mon bel amour, tu as le cœur trop tendre et les laisses te toucher, te blesser, ce que je ne supporte guère surtout quand je ne puis t'en protéger.

Il n'y a qu'une seule chose à faire, quitte Saint-Cloud et la Cour ! Ton frère comprendra que tu ne puisses continuer à subir cela, que non seulement ce qu'on raconte sur moi te blesse alors que tu endures déjà mon absence, mais que de surcroit être traité ainsi par tes amis, ta famille, être l'objet des suspicions des Anglais et de ton beau-frère t'est intolérable ! D'ailleurs, ton frère devrait te protéger de tout cela ! Je ne comprends pas qu'il ne le fasse.

C'est de sa faute après tout. S'il n'avait envoyé Henriette en Angleterre, je parie qu'elle serait encore en parfaite santé ! D'après ce que tu m'as raconté, le mal a empiré au fil de son voyage, il est donc responsable de tout cela. Je t'assure que tu es bien trop gentil avec lui, vois comme il te traite une nouvelle fois. D'ailleurs, tu dois accepter de renoncer encore à moi pour je ne sais combien de mois alors qu'il t'avait promis de mettre fin à mon exil. Il va continuer à te faire languir et prendra n'importe quel prétexte à ce sujet, je t'en fais le pari.

Pardonne ma colère, mais je ne supporte pas de te savoir si malheureux et ne rien pouvoir y faire. Je vais demander à Effiat de veiller sur toi, je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit. Tu as le cœur trop tendre, mon amour. Je te connais, tu dois trembler de tous les membres, en perdre l'appétit et le sommeil, être si tendu et nerveux qu'un rien doit t'atteindre et que bien sûr, personne ne songe à te protéger alors que tu es le premier à souffrir de sa disparition ! J'aimerais tant te consoler mon amour. Te protéger, être le cocon réconfortant dont tu as tant besoin. Laisse au moins Effiat faire cela pour moi.

4 juillet 1670, Florence.


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