Lettre LXXXII, de Monsieur au Roi.

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Mon cher frère, je ne peux te cacher ma joie en apprenant que tu as fait emprisonner Lauzun. Ce n'est pas très vertueux de se réjouir ainsi, mais le comte a attisé ma colère à plusieurs reprises et une partie de moi est heureuse de savoir qu'il paie enfin le prix de ses actes. Hélas, tu as tant tardé qu'il a eu le temps d'épouser notre cousine et, vivant moi-même le difficile exil de mon favori, je ne peux que comprendre la peine qu'elle doit ressentir, la douleur de l'absence de l'être aimé.

J'ai voulu le balancer dans la Seine tant j'ai éprouvé de colère envers lui. Mais ce n'était que la conséquence de l'humiliation qu'ils m'ont fait subir. Une fois l'émotion retombée, j'ai songé à ce que tu as dit à notre cousine, que nous ne pouvions nous opposer à sa volonté, qu'elle soit libre, l'ait toujours été, et le sera encore. Pourtant, cette liberté n'est rien sans l'être aimé.

Je ne peux que compatir à ce qu'elle doit ressentir à cet instant. Je t'en prie, mon frère, songe à sa douleur et donne-lui des nouvelles de son époux ou au contraire, pousse-la à rompre tout lien avec lui et annule leur mariage. Quoi que tu décides, ne la laisse pas dans l'incertitude, ne l'alimente pas en faux espoirs, sois franc avec elle. C'est trop douloureux d'espérer ainsi sans savoir quand on reverra l'être aimé. On ne peut s'empêcher de se demander s'il nous attend patiemment comme il l'a promis et si l'amour n'aura été terni par cette affreuse distance.

À la moindre lettre on bondit, le cœur battant, plein d'espérances qui sont balayées aussitôt lorsqu'on réalise que ladite lettre n'est en rien la bonne nouvelle attendue. J'ai enduré cela durant un an, sentant mon cœur se serrer à chaque déconvenue, à chaque fois que tu as repoussé l'éventualité d'un retour. Tu le sais bien, tu as lu chacune de ces lettres pleines de désespoir que je t'ai envoyé, toutes ces suppliques qui n'ont sans doute fait que te conforter dans ta décision. N'est-ce pas le plus tragique dans tout cela ?

Je ne veux que notre cousine vive le même enfer. Malgré l'humiliation subie, j'ai de la compassion pour elle et je te supplie de ne pas lui faire endurer ces souffrances.

Je sais que tu n'as eu le choix, que tu as tenté de faire au mieux, de me ménager tout en agissant comme tu devais pour préserver l'alliance anglaise, mais je n'en ai pas moins souffert. Tu dois punir Lauzun par son comportement, parce que tu l'as trop laissé faire, mais ne punis pas notre cousine pour être tombée amoureuse de lui. Personne ne peut contrôler ses sentiments, et si elle a été faible, nous ne l'avons protégée au moment où il aurait fallu. À présent, nous devons la préserver.

26 novembre 1671, Paris


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